𝑪𝒉𝒂𝒑𝒊𝒕𝒓𝒆 𝒑𝒓𝒆𝒎𝒊𝒆𝒓

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EMERIA

L'allée était majestueuse. De part et d'autre se trouvaient de longues rangées de fleurs colorées accrochées aux chaises. Seule, sous les regards des milliers de gens qui m'observaient, je remontais l'allée en priant pour ne pas trébucher.

Le matin même, les domestiques du palais m'avaient emmenée dans une pièce remplie de plus de robes que je n'aurais pu les compter, et j'en avais choisi une dont le vert allait avec mes yeux.

Mais cette robe avait beau être magnifique, avec son tissu qui brillait au soleil comme mille émeraudes, elle n'était qu'un déguisement de plus. Un masque. Tout ceci n'est qu'une horrible mascarade.

Au premier rang, sur la droite, je croisai le regard de ma mère. Elle avait des étoiles dans les yeux. Elle semblait au paradis, elle qui adorait la royauté. A ses côtés, Achlys, mon frère, et Freyja, sa compagne, m'offrirent un sourire encourageant. Achlys soutint mon regard et hocha la tête.

Vas-y, petite sœur, semblait-il dire. Tu en es capable.

Je ne tentai pas de leur rendre leur sourire. Je savais que je n'en serais pas capable, et que je n'esquisserais qu'une affreuse grimace.

Après une éternité, j'atteignis le bout de l'allée. Mais ce moment me parut tout de même bien trop rapide. Car à présent, je me trouvais face à l'inévitable. Il était trop tard pour reculer.

Je me risquai enfin à relever les yeux. Devant moi se trouvait celui avec qui je partagerais le reste de ma vie. Le roi Theodore d'Ellysis.

Il ne me regardait même pas. Le regard fixé droit devant lui, il ressemblait à une statue. Était-il seulement doté d'émotions ?

— C'est un événement heureux qui nous réunit aujourd'hui, annonça le druide d'une voix forte. Car aujourd'hui, nous célébrons une union.

Le silence qui emplit l'assemblée me rappelait celui des cimetières. C'était un silence de mort, et c'était ma liberté qu'on enterrait. Nous n'entendions même pas le bruissement des arbres : il n'y avait pas la moindre brise.

À la droite du druide, deux femmes se tenaient debout. Elles semblaient ne rien avoir en commun. La première était grande et pleine de muscles. Deux anneaux ornaient sa lèvre inférieure. C'était la commandante du royaume. La deuxième était âgée, petite, et habillée comme si c'était son propre mariage que l'on célébrait. Il s'agissait de la conseillère royale, lady Féolane.

La voix du druide me sortit de mes pensées.

— En effet, notre roi Theodore a trouvé une âme à aimer, et aujourd'hui, nous célébrons l'arrivée d'Emeria d'Iska dans la famille royale d'Ellysis.

Je me retins de lever les yeux au ciel. Le roi ne savait rien de moi, excepté mon nom. Il ne m'aimait pas. Il ne me connaissait même pas. La royauté vivait donc constamment dans le mensonge et les apparences ?

Le roi, à mes côtés, ne me regardait toujours pas. Il était plus petit que ce que les portraits royaux ne laissaient croire. Il était à peine plus grand que moi. Sa couronne, cependant, lui faisait gagner plusieurs centimètres, et plus encore de prestance.

L'orchestre avait recommencé à jouer, une musique de fond cette fois-ci. Comme pour tenter de masquer cet affreux silence. Le druide tendit les mains et je me tournai face au roi. Même devant moi, ses yeux à quelques dizaines de centimètres des miens seulement, il ne me regardait pas. Je sentis l'agacement me tordre les tripes.

Non seulement cet idiot décidait d'épouser des inconnues, mais en plus il n'avait même pas le courage de les regarder en face ?

— Emeria d'Iska, récita le druide, jurez-vous d'aimer votre mari le roi Theodore et de le soutenir jusqu'à votre mort ?

Je retins ma respiration. Je n'avais pas le choix. J'aurais dû m'opposer plus tôt, quand il était encore temps. Je ne pouvais pas éconduire un roi publiquement, le jour de son mariage. Je ne pouvais tout simplement pas.

Alors que le roi évitait mon regard, je plantai mon regard sur son visage et répondis d'une voix claire :

— Je le jure.

Mensonges.

— Jurez-vous, en tant que reine consort, de servir le royaume d'Ellysis et ses citoyens de toute votre vie ?

— Je le jure.

Mirages. Tout cela n'était qu'une mise en scène. Une affreuse scène de théâtre.

Le druide tourna la tête vers le roi. Mon futur mari.

— Votre Majesté, le roi Theodore d'Ellysis, jurez-vous d'aimer votre femme et de la soutenir jusqu'à sa mort ?

— Je le jure.

Sa voix ne tremblait pas. À vrai dire, elle n'exprimait rien. Rien du tout, à part le mensonge.

Mes mains tremblaient. Je les serrai contre mon ventre. Comment pouvait-il rester aussi indifférent ? N'était-ce donc qu'une cérémonie de routine pour lui ?

Il prit un diadème incrusté d'émeraudes sur un coussin que le druide lui tendait et le leva au-dessus de ma tête. Les yeux résolument rivés sur la tiare, il récita son texte tel un automate.

— Toi, ma femme, je jure de te soutenir jusqu'à la fin, de te chérir et de t'aimer de tout mon cœur et toute mon âme.

Alors qu'il continuait la mascarade, je sentis la colère parcourir tout mon corps, s'imprégnant du bout de mes doigts, de mon ventre, mes oreilles, rougissant mes joues et acérant mon regard.

Le roi déposa le diadème sur ma tête. Alors, enfin, il plongea ses yeux dans les miens. Je n'y lus aucune émotion.

En une fraction de seconde, il avait déjà détourné le regard. Faisant face à la foule, il s'exclama d'une voix forte :

— Peuple d'Ellysis, votre reine consort Emeria !

Les invités s'inclinèrent. Certains crièrent, mais je ne les écoutais pas. Je n'écoutais plus personne. Ma mère avait un énorme sourire. Elle m'acclamait à tout rompre. M'applaudissait-elle moi, ou ma couronne ?

À côté d'elle, Achlys ne souriait pas. Il me regardait d'un air si pénétrant que j'en oubliai où j'étais. Il savait. Il savait, mais il ne pouvait rien faire.

Son regard était trop douloureux. Je perdis mes yeux dans le reste de la foule. Il n'y avait que des inconnus. Enfin, au premier rang, à l'opposé de ma famille, se trouvait l'ancienne princesse d'Aderi. La première reine consort d'Ellysis, que le roi avait épousée deux semaines auparavant. Crystal d'Aderi.

Elle portait une robe mauve pastel, et applaudissait poliment. Elle était sans aucun doute la plus belle femme que je n'avais jamais vue. Je croisai son regard, et elle m'offrit un sourire timide. La voix du druide me parvint comme venant de très, très loin.

— Vos Majestés, Vos Altesses, mesdames, messieurs et menestres, je vous invite à célébrer les mariés.

Mais alors que tout le monde nous acclamait de plus belle, je n'avais d'yeux que pour elle.

Rejoins-moi au crépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant