Entre deux mondes

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Le lendemain, je me réveillai avec un étrange mélange d'émotions. Le message de Mat m'avait rassurée, mais je sentais que les choses étaient encore fragiles entre nous. Après notre dispute, j'avais besoin de le voir pour apaiser ce malaise. Mais en même temps, une partie de moi était préoccupée par Isaac, ce protecteur silencieux qui semblait deviner des choses en moi que même moi j'avais du mal à comprendre.

En descendant les escaliers, je fus accueillie par l'odeur du café fraîchement préparé. Maman était déjà en train de s'affairer dans la cuisine, mais elle me lança un regard attentif quand je pris ma tasse.

- Alors, ça se passe bien avec... ton garde du corps ? demanda-t-elle, en prenant un ton léger.

Je haussai les épaules, prenant une gorgée de café pour gagner du temps. 

- Ça va. Il est... professionnel.

Elle me fixa, les sourcils légèrement froncés. 

- On veut juste être sûrs que tu te sentes en sécurité, Harper. Tu sais que tout ce qu'on fait, c'est pour te protéger.

Je hochai la tête, mais une partie de moi ne pouvait s'empêcher de se demander si tout cela n'était pas un peu exagéré. Oui, j'avais eu un incident inquiétant récemment, mais de là à engager quelqu'un pour me surveiller... Tout ce dispositif commençait à me peser. Je me contentai de répondre : 

- Oui, je comprends.

En sortant de la maison, Isaac était déjà là, adossé contre la voiture comme d'habitude. Il me salua d'un signe de tête et m'ouvrit la portière.

- Prête pour une nouvelle journée ? demanda-t-il avec un léger sourire.

Je grimpai dans la voiture en souriant à mon tour. 

- Oui, aussi prête qu'on peut l'être.

Nous roulâmes en silence pendant un moment, mais aujourd'hui, le silence était moins lourd. Isaac avait changé, même si subtilement. Il gardait toujours une distance respectueuse, mais il y avait une chaleur nouvelle, un signe qu'il commençait peut-être à se détendre un peu avec moi.

Arrivés au lycée, je le remerciai et me dirigeai vers l'entrée. Comme la veille, je ressentais sa présence, même sans le voir. Ses yeux étaient là, quelque part, suivant chacun de mes mouvements.

Pendant les cours, je remarquais parfois Isaac, posté discrètement aux alentours, se fondant parmi les gens. Il était doué pour se faire invisible, mais d'une manière ou d'une autre, je savais toujours où il se trouvait. Peut-être parce que je le cherchais inconsciemment.

À la pause de midi, alors que je rejoignais Claire et Mat à la cafétéria, je sentis aussitôt la tension entre Mat et moi. Il m'embrassa, mais il y avait une réserve dans son geste, comme s'il n'était pas certain de sa place. Je m'efforçai d'ignorer cette sensation, m'installant à côté de lui pour déjeuner.

- Ça va mieux ?  me demanda-t-il, baissant la voix pour ne pas alerter Claire qui se concentrait sur son sandwich.

Je lui adressai un sourire, posant ma main sur la sienne. 

- Oui, merci pour ton message. Ça m'a fait du bien.

Il hocha la tête, mais son regard glissa rapidement vers l'extérieur, là où il savait qu'Isaac se trouvait, surveillant. Son visage se durcit, et je savais qu'il luttait contre sa jalousie.

- Je sais que ça ne te plaît pas,  murmurai-je en suivant son regard, mais c'est temporaire.

- Harper, tu comprends à quel point c'est étrange pour moi ? Voir ce type... là, toujours avec toi, alors que moi... je me sens impuissant, voir même inutile. 

Je soupirai, touchée par son inquiétude mais également frustrée de devoir me justifier sans arrêt. 

- Mat, c'est seulement pour un moment. Isaac n'est pas là pour autre chose ou je ne sais quoi. Il fait juste son travail.

Il me fit un signe de tête , mais je pouvais voir qu'il essayait de garder son calme. Claire, qui avait suivi la conversation en silence, intervint finalement, changeant habilement de sujet pour alléger l'atmosphère. La tension diminua, mais une part de moi resta tendu.

La journée passa lentement, et quand la cloche sonna enfin, je quittai ma dernière classe en soupirant de soulagement. Isaac était à son poste, m'attendant dans la cour. Je me dirigeai vers lui, encore irritée par la discussion de midi avec Mat, bien que j'essayais de ne rien laisser paraître.

Nous étions presque à la voiture quand il s'arrêta soudain et me regarda avec attention.

- Quelque chose ne va pas ?

Je m'apprêtai à répondre que tout allait bien, mais son regard intense me fit ravaler mes mots.

- C'est juste... Mat. Il a du mal avec... toute cette situation.

Isaac hocha la tête, comprenant. 

- C'est normal. Ce n'est pas simple pour lui non plus.

Je me laissai tomber sur le siège passager en soupirant. 

- Oui, et ça devient compliqué à gérer.

Isaac prit une inspiration, comme s'il pesait ses mots avant de parler. 

- Ça te dirait de te détendre un peu avant de rentrer ?  demanda-t-il. On pourrait aller chercher un milkshake, comme hier.

Mon visage s'éclaira, et sans réfléchir, j'acceptai. Quelques minutes plus tard, nous nous arrêtâmes au même diner que la veille. Je commandai de nouveau un milkshake à la fraise, et lui, fidèle à son habitude, prit un chocolat.

Nous restâmes assis en silence pendant un moment, sirotant nos milkshakes. Pourtant, cette fois-ci, le silence était plein de sous-entendus. Isaac me lançait de temps en temps des regards en coin, un sourire discret aux lèvres. Cette ambiance presque légère, ce moment de répit dans ma journée, me faisait un bien fou.

- Tu sais, commença-t-il, rompant finalement le silence, parfois, prendre un peu de distance peut aider. Les disputes peuvent être des opportunités de comprendre ce qui nous importe vraiment.

Je le fixai, étonnée par la profondeur de ses paroles. 

- Et toi, Isaac ? C'est pour ça que tu as choisi ce métier ? Pour garder tes distances avec... tout le monde ?

Il haussa légèrement les épaules, évitant mon regard. 

- Je suppose qu'on pourrait dire ça. Être en retrait permet parfois de voir les choses plus clairement.

Je réfléchis à sa réponse en silence. Pour une raison que je ne comprenais pas encore, ses mots résonnaient en moi, comme s'il savait exactement ce que je vivais. Peut-être parce qu'il avait dû sacrifier quelque chose pour cette vie de solitude, pour devenir cette figure protectrice, distante mais attentive.

Sur le chemin du retour, le silence s'installa de nouveau, mais je me sentais étrangement apaisée. J'avais retrouvé une certaine sérénité après cette parenthèse.

Alors qu'il arrêtait la voiture devant chez moi, Isaac me lança un regard amusé.

- Je te revois demain... madame, dit-il avec un sourire taquin.

Je roulai des yeux, réprimant un sourire malgré moi. 

- Arrête de m'appeler comme ça.

Il leva les mains dans un geste faussement innocent. 

- Oui, madame, répéta-t-il, son regard pétillant.

Je ris malgré moi et descendis de la voiture. Pendant que je m'éloignais vers la maison, je ne pus m'empêcher de repenser à nos moments partagés aujourd'hui. Ce lien qui commençait à naître entre nous me troublait. Mat était celui que j'aimais, et pourtant, la présence d'Isaac me rassurait d'une manière différente, plus profonde.

Je chassai rapidement ces pensées en montant dans ma chambre, mais une part de moi ne pouvait s'empêcher de sourire en repensant aux "oui, madame" taquins d'Isaac.

Yes, MissesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant