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L'argent s'amassait. Sous son matelas, à l'approche de ses quarante ans, il possédait précisément 445 972, 43 euros. Le tout en billets de cinquante, de vingt, de dix, de cinq et beaucoup de pièces de deux, de un euro ... Il connaissait ce montant par cœur. Il avait aujourd'hui un coffre pour chaque sorte de billets et chaque sorte de pièces. C'était sa seule passion et son problème aussi car, voyant cet argent comme une collection, il ne souhaitait pas y toucher ! Il avait un jour envisager de s'acheter une belle voiture pour impressionner Cindy qui changeait d'amant fréquemment mais, quand il vit le prix de cet engin, son cerveau fit rapidement demi-tour : Toutes les taxes ... Un comptable de ses patients qui s'étonnait qu'il circulait encore dans sa petite Peugeot 205 bleu vif à la portière verte, lui avait signalé qu'il pourrait la déclarer comme véhicule de fonction et qu'il ne payerait pas toutes les taxes. Suite à cette réflexion, le Docteur George s'était penché à nouveau sur la question mais, ... non ! Une voiture neuve, c'était trop cher. Il garda son clou, et ses sous !
Les gens s'interrogeaient aussi sur le fait qu'il ne prenait jamais de vacances. Il prétextait qu'il ne parvenait pas à risquer de laisser un patient dans le besoin Il y en a toujours au moins un pour lequel je n'ose pas m'éloigner, mentait-il. Il n'avait que faire de ses patients mais, son grand bonheur, ne se trouvait pas sur une plage, non : son bonheur, c'était le soir de soulever ce matelas, de retirer chacune des grosses boites métalliques qui s'y trouvaient et d'y ajouter les nouveaux billets et les nouvelles pièces à la bonne place. De faire des liasses et des « carottes ». Il savait tellement combien il possédait qu'il lui arrivait, dans sa pharmacie ou son épicerie, de tenter de fourguer des aliments ou médicaments (au fond peu importe) pour obtenir un chiffre rond dans sa collection.
A ce stade de sa vie, il ne se sentait pas seul au quotidien. Il était même totalement débordé mais comme cela entretenait sa passion de l'argent, il le vivait bien; jusqu'au 24 janvier 2016.
Ce matin-là, quand le réveil sonna à 3h15 comme chaque jour, il eut un choc ! C'était son dernier matin dans la trentaine. Demain, il aurait 40 ans ! Il se leva comme un robot, accueillit le livreur de marchandises du mieux qu'il put, réassortit son épicerie en vitesse, le temps que le livreur pour pharmacie arrive...En effet, il fallait faire vite, les mètres carrés étaient comptés et, s'il voulait maintenir trois chaises dans sa salle d'attente – Ce qui n'était pas beaucoup – il devait tout mettre sur les étagères, plier les cartons, les jeter avec les autres dans sa cour arrière et puis, vite réceptionner les produits pharmaceutiques, les installer au mieux et, de nouveau entretenir sa montagne cartonneuse à l'arrière. Une fois tout cela fait, il était prêt à recevoir ses premiers patients et clients dès 6h00 quand il se sentit envahi par une haine qu'il ne pouvait s'expliquer. Une haine à l'égard du monde entier : du Maire au plus petit miséreux, en passant par ses parents, ces confrères qui ne l'avaient jamais vraiment intégrés auparavant, toutes ces connes de femmes, soit des putes, soit des ... "Bof, des putes aussi" ... Il allait falloir faire bonne figure, vendre les certificats et les ordonnances, les boites de cassoulet et les laxatifs. Ça lui serait plus pénible aujourd'hui.
Il était 23h56. Enfin, il avait fermé ses boutiques. La journée avait été rude, les gens râlaient de devoir attendre debout mais, la pharmacie et l'épicerie prenaient tant de place qu'il ne pouvait plus y avoir que trois chaises et, peut-être, deux places correctes debout ! Bien-sûr, comme dans les bus, les prisons et les trains, ce qui est humainement prévus pour une personne se partage en quatre ou cinq dans ces cas-là ! Pour la peine, celui qui arrivait sans microbe, qui voulait juste une semaine de congé pour peaufiner sa maison, repartait malade. Les certificats de complaisance s'en trouvaient justifiés !
Le Docteur George sentait que le lendemain, il ne supporterait plus toute cette agressivité et ces reproches liés à une exiguïté qui lui était imposée (bien que les bénéfices des deux petits commerces l'arrangeaient bien). Il prit alors la ferme décision d'imposer aux patients de prendre rendez-vous ! A la longue,cela lui permettrait aussi de, peut-être, mieux organiser sa clientèle. Il allait donc mettre une affiche sur la porte d'entrée qu'il laisserait fermée jusqu'à huit heures du matin. Après tout,demain, il aurait quarante ans, ce serait son anniversaire, sa journée à lui, il était décidé à ce que personne ne la lui gâche.
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LE DOCTEUR GEORGE
HumorUn jeune docteur trouve enfin son bonheur quand on lui propose de s'installer dans un petit village campagnard paradisiaque : Wanne. Il emménage donc dans ce qui était il y a peu "la petite chapelle". Ce bâtiment lui est prêté gracieusement par la C...