Chapitre 3 : Le souk du Docteur George

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Il tenta de garder le moral grâce à la nouvelle organisation qu'il avait imposée à ses patients : Il ne les verrait plus que sur rendez-vous ! Il était dix-neuf heures, il pouvait enfin fermer la porte principale de ce qu'il tenta de nommer la « garapharmacerie », en terminant son rhum à la bouteille.

Il avait oublié de mettre son réveil et il ouvrit les yeux à 7 heures grâce au tocsin du téléphone pour les rendez-vous.

Très vite, son agenda fut plein jusqu'à 18h00.

Il se leva alors, avec un mal de tête effroyable pour aller voir si Abdel et l'autre avaient déposé les marchandises. Quelle bonne surprise : Tout était sur le pas de la porte ! Il rentra les cartons seul, plutôt content d'avoir pu se lever plus tard. Il ne les vida pas car, chaque mouvement vers le bas lui était douloureux, son cerveau lui semblait flottant.

Il reçut ses patients, toute la matinée, alla même chercher les médicaments directement dans les cartons pour certains. Il s'en foutait. C'était le désordre le plus total mais c'était sans importance. Vers 11h35, quand il entendit le carillon, il ne s'inquiéta pas, les clients commençaient à savoir qu'il fallait attendre entre deux patients pour être servis (Et ils le prenaient d'ailleurs assez bien). Pourtant, les gros bruits de déménagements qu'il entendit l'inquiétèrent, il ne fallait pas que n'importe qui se serve dans ses cartons, c'était sa marchandise, son argent. Il alla donc vite voir, expédiant sa patiente en lui prescrivant ce qu'il savait facile à attraper au passage dans sa pharmacie pour s'en débarrasser au plus vite. Quand il arriva pour prendre les médicaments prévus, il fut horrifié : Un nouveau corps de métier était là ! Il jeta les boites à la dame, prit son argent presque en le lui arrachant des mains. Elle réclama sa monnaie de 25 centimes qu'il lui donna d'un air très agacé (quelle radinerie !). Rapidement, il se dirigea vers l'homme qui était en train d'installer une grosse machine rose.

- Mais qu'est-ce que c'est ? Une erreur, c'est une blague, c'est une caméra cachée, c'est quoi ! ?

- On m'avait dit que vous alliez faire votre cinéma ! Et on m'a dit que vous n'avez qu'à téléphoner au Maire ! Arrangez-vous !

Appeler le Maire ? Sûrement pas, le docteur George savait que son emploi ne tenait plus qu'à un fil depuis la veille donc, il allait falloir accepter les yeux fermés, s'écraser une fois de plus.

- Non, non, je ne suis pas, non, je suis content ... Mais qu'est-ce que c'est cette machine ?

- C'est une machine à barbe à papa. Vous verrez c'est très facile à faire.

- Comment ça ? mais pourquoi ? Je vais ...

-  A ce que j'ai compris, quand le boulanger a su que le garagiste pouvait stocker ses affaires ici et que vous alliez les lui vendre sans rien en retour ou presque, le boulanger a pété une case chez le Maire... Alors, comme le boulanger voit tout le monde tous les jours ... Vous avez compris :  ça peut être très bon ou très mauvais pour les élections donc... Le Maire a dit que vous pouviez faire la barbe à papa gratuitement... Voilà le petit coffre avec la clé. Ils se sont mis d'accord, une semaine, c'est le garagiste qui viendra prendre les deux petits coffres et l'autre ce sera le boulanger. Quelqu'un de la boulangerie viendra vous expliquer comment ça marche, amener le sucre ... Mais ils vont vous appeler, je crois que ce sera vers 21 heures pour ne pas vous déranger dans vos consultations.

- C'est gentil, répondit-il calmement.

Il fit ensuite entrer la patiente suivante qu'il n'écouta pas une seconde. Il l'envoya faire une prise de sang et lui vendit des antibiotiques à 45€,  la boite (son bénéfice net était de 37€ sur ce médicament, il le prescrivait donc à tout le monde).

Entra le facteur. Comme il avait pris l'habitude de le faire, il déposa, deux, trois colis près de la porte d'entrée après avoir déposé un avis de passage dans leur boîte aux lettres des absents, mentionnant où ils pouvaient venir chercher leur bien en tout sécurité. Oui, le docteur faisait  « Point Poste » aussi mais il s'en occupait peu, les gens n'avaient qu'à se servir, aucune signature n'était requise... Il avait bien autre chose à faire !

Le soir, vers 22h30, enfin arriva le boulanger pour le former à la machine à barbe à papa. C'est sans discuter que le petit docteur accepta cette formation qui ne lui rapporterait pourtant rien et lui ferait perdre du temps. Il fut stupéfait de la quantité de sucre que cela demandait ! Un peu de colorant rose, bleu et vert - Il faudrait en plus demander de quelle couleur ils souhaitent leur diabète- faire tourner un bâton dans une espèce de chevelure ultra-sucrée et vendre ça 7€.

- Ça me fait plaisir de pouvoir la mettre ici car dans mon magasin, ça prend trop de place et on n'a pas toujours le temps de chipoter avec ça ! Mais ça m'emmerdait d'y renoncer car le bénéfice est important, allez, regarde, euh... Je vous dire regardez, Docteur, j'ai pour 20 centimes, en parlant fort, de sucre et de colorant et je leur vends ça 7€, ce serait con de s'en priver !

- Ah ! Oui ! En effet, c'est intéressant ! Mais vous avez dû investir dans la machine ?

- Tu penses bien que non, hein, ça c'est le fournisseur de farine qui me l'a offerte à Noël ! Non, c'est vraiment tout bénef ! Allez, tu te débrouilles bien, je te laisse, je dois aller faire mon pain, moi ! Toi t'as de la chance, tu vas aller au lit mais moi, je suis courageux, je pars travailler !

- Et je vous admire, lui lança-t-il avec plus de haine que de moquerie.

Le boulanger partit et Le docteur George s'assit à nouveau, comme la veille, sur une chaise dans sa salle d'attente qui ressemblait encore plus ce soir à un garde-meuble qu' à un lieu réservé aux soins médicaux. Hier, il était presque rassuré en se disant que cela ne pouvait être pire mais ce soir, il soupirait : le Maire mettait toujours un échelon supplémentaire sur l'échelle de sa patience et il était fatigué de grimper. Bientôt, on ne saurait plus marcher dans cette pièce, alors peut-être installerait-il des échoppes dans sa cour ? Il lui faudrait alors jeter tous les cartons et il n'en avait pas le courage. Il se leva et se dirigea vers son bahut qui, ne contenant aucune vaisselle (le curé n'avait qu'une assiette, un bol et une fourchette), était rempli de dizaines de bouteilles de vin, de champagne offertes ça et là au cours des années passées. Ses patients n'étaient pas si détestables au fond, ils savaient se montrer reconnaissants d'avoir un si bon Docteur, non pas en tant que scientifique mais en tant qu'être compréhensif qui fournit les certificats médicaux et les médicaments qu'on lui demande. Durant dix années, il avait laissé ces bouteilles de côté. L'alcool, tout comme la cigarette ne l'avaient jamais attiré mais, aujourd'hui, c'était son seul recours, sa seule solution pour oublier sa triste vie... Bien-sûr, il eut pu se servir dans sa pharmacie mais il ne voulait pas trop abîmer sa santé et, surtout, ces bouteilles étaient gratuites, c'étaient des cadeaux ! Pourquoi consommer des articles sur son compte alors qu'il avait de quoi se péter la gueule à l'œil ? De plus, l'alcool était à la fois un somnifère, un anti-dépresseur, un décontractant musculaire et... une boisson, aussi ! Le côté multifonction et la gratuité firent que, chaque soir, le petit docteur descendit une bouteille et ce, durant trois mois, quand il prit la dernière.

Ce soir-là, il se demanda ce qu'il allait bien pouvoir faire le lendemain !







































LE DOCTEUR GEORGEWhere stories live. Discover now