🥀CHAPITRE 19 🥀

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Lucienne avait passé une bonne partie de la nuit scotchée à sa fenêtre, attendant patiemment de déceler dans l'obscurité une quelconque silhouette inconnue. Elle avait surveillé les abords de la grange tel un soldat montant la garde, mais à sa grande surprise, rien ne se passa cette nuit-là. Ni la suivante d'ailleurs. Ni celle d'après. Contrairement à ce qu'elle aurait cru et imaginé, personne ne semblait venir pour récupérer la tête de Louis. Lui aurait-il menti pour profiter de son hospitalité qu'il lui avait arraché ou peut-être que ses usuriers attendaient tout simplement patiemment, tels des pêcheurs ayant jeté l'hameçon, que Louis se montre de lui-même ?

Toutefois, et il fallait bien le reconnaître, veiller autant de nuits d'affilée n'avait rien de bon pour la santé et la fatigue de Lucienne transpira par ses étourderies quotidiennes : Des rendez-vous manqués, des balles perdues à travers le manoir, de la vaisselle tombant au sol et se brisant... Son quotidien qui avait pour habitude d'être si calme et si paisible se retrouva soudainement sens dessus dessous et tout cela par la faute d'un seul homme. Toujours le même d'ailleurs.

— Je présume que tu n'as toujours pas réglé tes problèmes, lança-t-elle vivement au principal concerné de ses préoccupations.

— Disons que c'est... en cours. J'ai encore quelques dettes à régler, mais je m'y emploie, bien que tu ne saches que je ne roule pas sur l'or et que...

— Combien te manque-t-il ? le coupa-t-elle sèchement.

— Pardon ?

— N'est-ce pas là où tu voulais en venir. Je te connais, Louis. Tu prends toujours des chemins détournés avant de formuler une demande honteuse. Donc, pour m'éviter de perdre du temps, allons droit au but : combien te manque-t-il pour que tes dettes puissent être remboursées ?

— Te proposerais-tu de m'aider ?

— Mis à part le salaire que je te verse afin d'être mon professeur particulier, tu n'auras pas un centime de plus de ma poche. Néanmoins, je me tarde de savoir à combien suis-je de pouvoir retrouver ma tranquillité d'esprit que tu as si allègrement balayé du revers de la main ?

Encore un reproche. Louis fronça les sourcils et Lucienne le dévisagea hautement.

— Crois-moi, cette situation ne me plait pas davantage, Lucienne. Si j'avais eu un autre choix, je...

— Tu quoi ? Depuis que je te connais, tu as des problèmes d'argent. L'addiction aux jeux, aux paris hasardeux ou à la dépense définissent tout ton être. Et à chaque fois, c'est la même chanson : Tu fuis les gens qui en veulent à ta vie, tu promets de t'améliorer, de tout mettre derrière toi et d'arrêter, sauf que tu finis par replonger. Encore et toujours la même chanson. Si je n'avais pas accepté ta stupide requête, où serais-tu allé te cacher ? Dans les jupons d'une de tes nombreuses maîtresses ?

À la simple pensée qu'elle fut un jour l'une de ces personnes, Lucienne eut la nausée. Tout ce qu'elle ressentait, tout ce qu'elle pensait ressentir pour lui n'était que mensonge, tromperie et illusion. Après tout, c'était bien là sa marque de fabrique : utiliser autrui afin de s'en sortir. Louis n'avait jamais ressenti la moindre culpabilité vis-à-vis de cela. Si les autres pouvaient payer les pots cassés à sa place, alors...

— Je te trouve particulièrement véhémente aujourd'hui, finit-il par lui dire.

— Sais-tu que cela fait trois jours que je veille inlassablement, car je crains qu'un bandit ne débarque dans ma maison et s'en prenne à une personne qui n'aurait rien demandé et qui aurait juste eu le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment ? Trois jours que je me demande si chaque matin, je vais devoir aller dans la grange pour trouver un corps ou au moins un bras ou un orteil ? Tu n'as probablement pas la moindre idée de ce que c'est, toi, que de vivre dans la crainte ainsi.

— Je fais de mon mieux !

— Eh bien, ce n'est pas suffisant !

Lucienne vint à penser qu'elle n'aurait jamais dû accepter sa stupide requête. Jamais elle n'aurait dû le prendre en pitié pour la énième fois de sa vie et jamais, elle n'aurait dû le laisser revenir dans sa vie. Mais il était trop tard pour éprouver des regrets. Louis était là et avec lui, l'ensemble de ses problèmes avaient également posé leurs valises dans sa grange.

Triste bilan que de se rendre compte qu'après tant d'années, tant de sentiments et tant d'affection, la seule chose qui nous lie à une personne est finalement la pitié. Il n'y avait plus de colère ou de ressentiment, simplement ce grand vide maintenu par un seul et unique fil tout fin. La pitié avec grand P.

— Je suis désolé, Lucienne. Désolé de gâcher ainsi ta vie et de n'être qu'un bon à rien à tes yeux, confessa Louis, attristé.

— Non, tu ne l'es pas. Si réellement tu l'étais, tu ne serais jamais venu me retrouver. Encore moins maintenant. J'étais enfin libre, t'en rends-tu seulement compte ? J'avais enfin la vie que j'ai tant souhaitée avoir et toi, encore une fois, tu es venu m'enlever cela.

— Je n'ai jamais cherché à te faire le moindre mal, encore moins volontairement... C'est juste...

— Plus fort que toi ? Je te comprends au moins sur ce point-là, finit-elle par soupirer, visiblement lasse de s'adonner à la dispute.

Car Lucienne elle-même était bloquée dans sa propre boucle infernale. Elle aurait très bien pu laisser cette porte fermée à l'instant où elle avait vu son visage se tenir sur son pallier. Elle aurait très bien pu le renvoyer et trouver une autre personne pour être son professeur particulier. Elle avait eu maintes et maintes occasions qui se sont offertes à elle afin qu'elle puisse se débarrasser définitivement de ce fantôme, mais hélas... Avoir Louis gravitant autour d'elle tel un astre gravitant autour du soleil, c'était aussi bien plus fort qu'elle.

Le club des gentlemen extraordinnairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant