L'air est doux en ce début de matinée, mais une tension sourde semble s'accrocher aux branches du vieux chêne sous lequel nous avons pris l'habitude de nous retrouver. L'écorce rugueuse contre mon dos, je fixe un point invisible au loin, repensant à la veille. Cet arbre a été témoin de nos échecs et de nos plans interrompus. La tentative avortée d'entrer dans le bureau de Mme Schwartz me reste en travers de la gorge. Un goût d'inachevé, presque amer, persiste sur mes lèvres.
À côté de moi, Ava balance distraitement une petite pierre entre ses doigts. Elle ne tient jamais en place lorsqu'elle réfléchit. Je vois ses mâchoires se serrer légèrement avant qu'elle ne brise le silence :
— Il faut qu'on parle de Paul.
Ali, assis en tailleur, les coudes appuyés sur ses genoux, relève la tête, les sourcils froncés.
— Il est toujours fourré avec Lucas et Éric. Il traîne rarement seul.
Je le sens tendu à cette idée, comme s'il redoutait d'avoir à parler à Paul, ou pire, d'être vu avec lui. Je le comprends. Ce type ne correspond en rien aux fréquentations habituelles d'Ali, ni aux miennes d'ailleurs. Pourtant, une image s'impose à moi : Paul, assis sur le trottoir du parking au Indiana Café. Cet air désinvolte collé au visage, après son altercation avec Tyler. Cette nonchalance calculée qu'il arbore toujours masque une intelligence silencieuse.
— J'ai un cours avec lui ce matin, finis-je par annoncer, sentant le poids du regard d'Ava sur moi.
Ali se redresse légèrement, surpris.
— Tu comptes lui parler ?
— Oui. Autant profiter de l'occasion.
Ava m'observe un instant, puis esquisse un sourire moqueur.
— Tu stresses, pas vrai ?
Je détourne le regard, faisant mine de ne pas l'entendre. Bien sûr que je stresse. Paul m'intimide, et ce n'est pas juste à cause de sa réputation. Il a une manière de regarder les gens, de capter les silences et de les interpréter, qui me met mal à l'aise.
Le son de la cloche interrompt la conversation. Chacun part de son côté, s'enfonçant dans le labyrinthe des couloirs. Mon cœur cogne légèrement contre ma cage thoracique alors que je prends la direction du cours de littérature.
J'entre dans la salle baignée par une lumière douce, tamisée par les rideaux légèrement entrouverts. L'odeur familière du papier et de la craie me rassure un peu. Mes pas résonnent sur le parquet, un bruit creux qui semble attirer l'attention de mes camarades. Je les ignore, mes yeux cherchant instinctivement la silhouette de Paul.
Il est là, installé au fond, avachi sur sa chaise comme si le monde entier l'ennuyait profondément. Un coude posé sur la table, il tapote son stylo contre le bois, son regard perdu dans le vide.
Je prends une grande inspiration et m'avance vers lui. Chaque pas est un défi. J'ai l'impression d'être sous le feu des projecteurs. Les discussions autour de moi s'interrompent peu à peu. Des regards curieux me suivent. Moi, qui m'assieds communément au premier rang, je dévie de ma trajectoire habituelle pour aller m'installer aux côtés du garçon qui incarne tout ce que je n'ai jamais côtoyé.
Mme Hayes lève les yeux de son livre, arquant un sourcil avec une surprise à peine dissimulée. Mais elle ne dit rien.
Je sens la présence de Paul avant même de le regarder. Son parfum boisé, teinté d'une légère odeur de tabac froid, flotte entre nous. Il tourne légèrement la tête vers moi, son expression mi-amusée, mi-intriguée.
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Sous le poids du silence (FR)
Novela JuvenilRebecca pensait que son passé était derrière elle. Depuis son adoption, ses souvenirs d'enfance restent flous, fragmentés, enterrés sous des années de thérapie. Mais lorsque sa meilleure amie, Ava, lui montre une simple carte de visite d'un centre d...