Des jours et des jours que la pluie tombait sans discontinuer, s'échappant d'un ciel ras de terre et au noir profond. Certains vous diraient que de mémoire, nous n'avions pas connu telles précipitations depuis des années car cette nuit-là tombaient des cordes, ce genre de nuit où pas un chat ne réussit à échapper au déluge. Moi, si j'étais cynique, je vous répondrai avec le recul que c'était comme si la Nature elle-même pleurait ma venue au monde.
Dès les premières contractions, ma mère se précipita au petit hôpital de notre ville. Le nom de cette dernière ne vous dirait sans doute rien, elle était une cité comme on en trouvait beaucoup à l'époque, si vaste en apparence mais dans laquelle on se sentait si serrés... Mon père quant à lui ne nous avait pas encore quittés ce jour là et c'est aux environs de minuit - pleurant à chaudes larmes comme s'il ne tombait pas assez d'eau du ciel - que je découvris le monde pour la toute première fois.
Ma mère aimait à dire que mon prénom était celui de l'un de mes ancêtres, un guerrier que l'on disait valeureux, fier membre d'une tribu barbare nordique. Luther. Elle ne sut jamais m'en dire plus, et à vrai dire je ne sais même pas si je l'ai cru le jour où elle me l'a dit. C'est vrai quoi, il est facile d'inventer l'héritage glorieux d'un petit assemblage de lettre. Avec le temps j'ai aussi appris qu'il ne fallait pas croire tout ce que racontent les adultes, même si le sang vous lie...Ce dont je suis sûr en revanche, c'est que tout obscurs qu'ils furent, mon prénom et l'histoire de celui ci ont probablement fait de moi ce que je suis aujourd'hui.
On dit parfois que le prénom influence la destinée, qu'il trace au porteur une voie hantée de la vie de ses illustres homonymes. Croyez-moi, s'il ne fait pas toute notre vie, il a sur elle un impact que moi-même n'aurait pas imaginé. Quand j'y repense, un guerrier valeureux...
Quoiqu'il en soit le bonheur planait au-dessus de ma tête cette nuit-là, malgré la pluie et les sombres desseins du ciel. Mais il fut hélas de bien courte durée, et bien vite s'est abattu sur moi la réalité d'une vie plus sombre et plus amère que ne l'auraient jamais pu être les cieux. Ce n'est que peu de temps après mon premier anniversaire que mon père sombra dans la démence et devint violent, alors que ma mère entamait sa descente dans les dédales de la dépression.
A cet âge-là je ne pouvais qu'assister impuissant, jour après jour,à la tempête qui entamait les murs fragiles de mon foyer. Je ne pouvais que subir malgré moi les menaces et coups répétés que portait cet homme, celui qui devait être pour moi un modèle plus tard, à l'encontre de ma mère. Cela n'avait duré que le temps qu'une main extérieure ne s'en rende compte et que je sois placé dans un foyer du jour au lendemain, ne sachant pas si je reverrais le peu de famille qui était la mienne.
Je ne garde pas vraiment de souvenirs de la période que j'y ai passé.Tout ce que je sais c'est que les années filèrent entre mes petites mains dans la tristesse et le chagrin comme la poussière noir du charbon file entre les doigts. La lumière n'était revenue que le jour où j'avais pu retourner avec ma mère, un jour qui avait sonné le départ d'une nouvelle vie.
Une grande femme était venue me chercher dans le dortoir et m'avait pris par la main. Je me souviens encore du couloir sale et sentant le moisi qui menait à la petite pièce où elle se trouvait, ou plutôt... ils. Elle était là, et si je n'avais pas explosé de rire et de pleurs en voyant son sourire, j'aurais remarqué qu'elle commençait à ressembler à ces vieilles dames qui s'occupaient de moi, elle qui était si jeune...
Dans ma précipitation à la rejoindre, je n'avais pas vu ou je mettais les pieds, et le couinement qui explosa dans la pièce finit de sonner l'avènement de ce grand jour. Je m'étais pris les pieds dans une petite chose poilue, qui s'était ensuite cachée sous le bureau,la queue basse. Je me souviendrais toujours de ces mots que ma mère prononça, la voix partagée entre rires et sanglots.
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Dies iræ
FantasyMa vie était un labyrinthe dont l'architecte était mon propre père, un chemin serpentant dans l'ombre noire des hauts immeubles de mon époque, un labyrinthe où chaque relation était une impasse, une peine... Du haut de mon jeune age je me voyais dé...