13h00 et 12 secondes
L'histoire commence une heure et quatorze minutes avant la fin. une heure et quatorze minutes avant l'horreur. Le train numéro 1756 part d'une gare inconnue, d'un lieu inconnu vers une destination inconnue. Dans le hall, des centaines de personnes s'amassent. L'heure de l'embarcation approche, et la populace se dirige vers le quai numéro 3. Une femme tient son enfant part la main, une autre tire sa lourde valise. Le chef d'escale s'approche d'un jeune homme et lui tend son billet tombé à ses pieds. Une ancienne fume son dernier cigare avant d'entamer son voyage.
L'un de tous ces gens, c'est moi. Je suis parmi eux, invisible dans cette foule. Ce train, je l'attends avec impatience. Sa destination, j'en rêve depuis des nuits. Parce qu'à l'arrivée, Elle sera là et ma solitude prendra fin. Je souris intérieurement et je lâche un soupir. Ma valise est à mes côtés, je ne la quitte pas des yeux un seul instant, de peur qu'elle ne disparaisse. Je me perd dans la foule en délire, qui s'agglutine à mes côtés, prêt à sauter dans l'engin de transport.
Le train pénètre dans la gare dans un bruit aiguë et douloureux puis s'arrête au bout de quelques mètres. Au repère C, les gens s'affrontent à coup de coudes pour entrer et trouver leur place. Je me mord la lèvre quand une maman se fait pousser à en lâcher son bébé. J'interviens juste à temps en posant ma main dans son dos pour la maintenir elle et son bambin. Son regard est sombre, cerné mais je sais qu'elle me remercie, même si c'est silencieux. Mon cœur se serre en voyant la bêtise humaine. Quand enfin le passage est accessible, j'entre en soulevant ma valise sans assommer la moindre personne.
A ce moment, j'ignore tout du futur qui nous attend les passagers et moi.
Parfois, l'humanité doit payer. Et ce jour là, aucun de nous ne rentrera à la maison.
Si on s'était souvenu à temps qu'on ne peut se battre contre la fatalité, ça aurait été plus facile. Si seulement nous nous étions souvenu que nous devions mourir...Pour ceux que j'ai aimé et que j'aime encore.
*
13h02 et 55 secondes
"Excusez moi ?
- Oui ?
- Je dois m'asseoir ici...
- Oh oui, allez y ! "
C'est le premier dialogue que j'ai de la journée. Je ne suis pas très bavard, voir absolument pas. Cette femme souhaite s'asseoir à ma gauche donnant sur la fenêtre du TGV. Au premier coup d'œil, je rie intérieurement. Son look est hors du commun. Mais je ne le décrirai pas. Parce que ça n'a pas son importance pour le moment. Je plonge dans mon bouquin dont le titre a disparu tant il est vieux. Le train démarre, je m'enfonce un peu plus dans mon siège et j'observe avec ma voisine le paysage défiler. Après quelques minutes, les gratte-ciels laissent place aux petits villages. Mon cœur se serre. J'aimais cette ville.
Je suis installé dans un carré, numéroté de 50 à 54. Au bout de trois pages, je me décide à regarder ce qui m'entoure. Cinq heures de train, c'est beaucoup et mon livre ne me tiendra pas en haleine jusqu'à la fin. Je dépose lentement le roman sur ma table dépliée. Mes mains attrapent machinalement mon casque que je dépose sur mon crâne, laissant Nothing Else matters - de Metallica bercer mon début de voyage. A ma gauche, l'étrange demoiselle. Elle aussi écoute de la musique, probablement plus hard que moi. Ses yeux sombres fixent l'extérieur, perdus dans les profondeurs de ses pensées. La curiosité me pousse habituellement à sonder les souvenirs des autres mais pas cette fois. Mes doigts jouent le doux tempo de la mélodie tandis que je tourne mon intention sur l'homme en face de la punk. Il est habillé parfaitement. Droit, à la chemise blanche parfaitement repassé. Sa cravate est placée au millimètre près et ses cheveux sont ramenés en arrière par du gel et un coup vif de peigne. Une seconde, c'est tout ce qu'il me faut pour deviner la position de cet homme. Il tente de faire bonne figure dans son travail de bureaucrate, je mise dès le premier geste sur un comptable. Son pied tapote le sol à la recherche de l'apaisement et de la détente. Parce qu'à en voir son visage blême et crispé, on comprend qu'il est nerveux et que ce voyage de l'enchante guère. Je finis mon observation sur l'homme de l'ancien age en face de moi. Ses doigts charnus écrivent frénétiquement sur un morceau de papier. Curieux, je tente d'entrer dans son regard pour y lire les mots mais ses yeux verts arrêtent mon idée avant même de tenter le moindre geste. Il m'a découvert ! Je ferme mes paupières et feint l'innocence totale.
Si je devais donner un âge à chacune de ses personnes, ça irai de 19 ans pour la jeune fille, en passant par la trentaine pour l'homme d'affaire jusqu'aux 75 ans pour l'ancien écrivain. Mes lèvres se pincent dans une affreuse grimace. Et moi dans tout ça, quelle figure je laisse voir ? On a tendance à me voir comme "dangereux" et je ne peux en vouloir aux humains. Car mon Moi ne laisse apparaître que cette image. J'ai exactement jour pour jour 23 ans et je suis un médecin couvert de tatouages. ça en déroute plus d'un, de voir un jeune homme aux cheveux longs noir de jais, attachés en queue de cheval, couvert de marques tribales de la tête au pieds ( bien que j'abuse sur l'expression ). Et ça perturbe encore plus lorsqu'on découvre que je suis le genre à avoir des vies entre les mains. Comment - vous vous dîtes- un tatoué de 23 ans peut-il être médecin ? C'est un de mes secrets.
" Hé toi ! "
La voix du papi me parvint de loin et je laisse mon casque tombé dans mon cou.
- Oui ?
- On se serait pas déjà vu qué que part ?
Son accent me fait rire intérieurement, je lui offre mon plus beau sourire et secoue négativement la tête.
- Non, Monsieur.
- Moi je crois que si..."
C'est à son tour de me sourire. Un frisson parcourt mon échine. J'ai froid. Oui, nous nous connaissons. Non, je ne l'avouerai pas. Parce que si je le fais, tout ira trop vite. Je repose mon casque, laissant en suspend cette conversation, qui reprendra au cours des cinq prochains jours.
13h59 et 59 secondes.
Plus que quatorze minutes.
" Dis papa, quand est ce qu'on arrive ?
- Pas tout de suite Tyra. On vient juste de partir.
- Maman me manque...
- Je sais Mon cœur.
- Elle est dans les nuages hein ? "
C'est trop tard pour se souvenir. Trop tard pour pleurer. Le commandant de bord allume le magnétophone et entame un rapide discourt avant de faire ralentir le train.
" Madames et Messieurs, suite à une surchauffe des moteurs dût aux fortes températures extérieurs, le train aura un retard de 15 minutes. . ."
Le silence de la voiture est brisé par quelques plaintes. De mon côté, c'est le bureaucrate qui marmonne.
" Tsss ! Jamais capable de suivre un horaire ou d'être à l'heure ! Stupide compagnie ! "
Oui, c'est pas faux. Mais c'est comme ça. Mes yeux se perdent dans le paysage défilant et je pense. Tout ça, c'était déjà un premier signe. Il fallait juste le voir. Le comprendre. Même moi, j'ai réagi trop tard. Au moment où je fixe la petite fille de l'autre côté du couloir, tenant un doudou, se plaignant à son père, le train entre dans le tunnel. Nous sommes sous la montagne entre les deux villes. Je cligne des yeux deux fois et jette un coup d'œil à l'horaire sur mon téléphone portable. Je baisse la tête.
14h13 et 59 secondes
Une seconde. C'est le temps que ça a prit. C'est peu me direz-vous. Mais bien assez. ça c'est effondré dans un bruit sec. La roche est tombée sur les côtés puis sur nous. On s'est sentit volé puis le choc nous a secoué. Les bagages ont volé, les corps se sont écrasés. Les hurlements ont bercé la dernière seconde du voyage. Les lumières ont clignoté puis explosé.
Puis ça a prit fin. Le noir.
Le train numéro 1756 a disparu sous le tunnel. Lui, et ses passagers.
Nombres de survivants ? J'aurai dit 60. Mais j'étais trop gentil. C'était infiniment plus petit.
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Souviens-toi que tu vas mourir
Short StoryC'est une sombre histoire, Parce qu'elle commence par la joie, le bonheur et qu'elle termine dans la tristesse, et la douleur. Cent personnes, un train. La fin de l'histoire commence à 14h14, le train numéro 1756 traverse les montagnes et s'e...