Le coeur de Richard s'arrêta alors qu'il se servait un verre d'eau.
Il ressentit une douleur fulgurante, indescriptible. Il lâcha son verre d'eau qui se brisa sur le carrelage de la cuisine et il s'effondra.
Il essaya de pousser un cri, pour alerter sa femme, qui était aux toilettes, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il suffoquait. La mort n'allait pas tarder, il le savait. Il la sentait déjà arriver. Il etouffait, manquait d'air, se tremoussait sur le sol comme si cela pouvait l'aider... il se sentit perdre conscience, glisser peu à peu dans les limbes...
Puis, brusquement, tout s'arrêta.
Richard était toujours au sol, mais il ne bougeait plus. Il n'étouffait plus non plus. Il se sentait parfaitement bien, en vérité. Mieux que jamais. Il tenta alors de se relever.
Mais n'y parvint pas.
Il ne put esquisser le moindre geste. Même ses yeux étaient figés, fixés sur le plafond.
Richard remarqua alors avec stupeur qu'il ne respirait plus. Il ne sentait plus aucun courant d'air pénétrer ses narines, ni plus aucun battement de coeur.
En fait, il ne sentait plus rien.
Une pensée lui vint à l'esprit. Et elle était tout sauf réconfortante.
Je suis... mort ?
C'était tout à fait probable. Il venait de faire une crise cardiaque, son coeur ne battait plus, il ne respirait plus, il ne bougeait plus, alors en théorie, il était mort.
Mais pourquoi suis-je encore conscient ? Ne devrais-je pas me trouver dans ce fameux au-delà dont on nous parle tant ? C'est ça, la mort ? Seulement ça ?
- Chéri ?
C'était sa femme. Elle venait enfin de sortir des toilettes. Il entendit ses pas dans les escaliers, puis s'approcher de plus en plus jusqu'à ce que son cri retentisse dans toute la maison.
- MON DIEU ! RICHARD ! QU'EST-CE QUE...
Il vit son visage se pencher juste au-dessus du sien. Normalement, à cette distance, il aurait du sentir son souffle sur sa peau. Rien, pourtant.
Elle colla son oreille contre sa poitrine.
- Doux Jésus ! s'exclama-t-elle.
Richard, impuissant, l'entendit repartir en sanglotant. Elle revint quelques secondes plus tard et un miroir apparut dans le champ de vision du mort. Elle le maintint quelques instants avant de le retirer et de le regarder.
- RICHARD ! OH NON ! fit-elle.
Elle a vu qu'il n'y a pas de buée sur le miroir, pensa Richard.
Sa femme disparut une nouvelle fois. Richard devina qu'elle était partie appeler les urgences.
Mon Dieu... Dans quel pétrin me suis-je encore fourré ?
*
Le médecin diagnostiqua un arrêt cardiaque.
Richard avait assisté à son examen avec une impuissance tout à fait terrifiante. Il ne ressentait aucune douleur, heureusement - il avait cru comprendre qu'on lui avait enfoncé un thermomètre assez volumineux dans l'anus - mais ne pouvoir agir était une souffrance autrement plus frustrante.
Pendant qu'il se faisait ausculter, Richard avait eu une petite pensée pour toutes les victimes de tueurs en séries et autres, qui, eux, si tout le monde se trouvait bien dans le même cas que lui après la mort, avaient à vivre leur autopsie. Ce devait être tout autre chose que son petit examen ridicule.
Lorsque le médecin officialisa la mort de Richard, on se mit à parler d'enterrement. Chose à laquelle Richard n'avait pas pensé, et qui l'inquiétait de plus en plus. Si bien qu'il ne dormit pas du tout cette nuit là (les morts dorment-ils ?).
Le lendemain matin, on vint le chercher aux aurores. On le disposa dans une sorte de sac. Il vit la fermeture éclaire se refermer sur lui.
Ce fut la dernière fois qu'il vit la lumière du jour.
Richard entendit un bruit sourd et comprit qu'on l'avait déposé quelque part - dans un cercueil. Il entendit qu'on soulevait le cercueil et qu'on l'emmenait ailleurs, puis plus rien pendant un long moment, jusqu'à ce qu'un bruit de moteur retentisse.
Une demi-heure plus tard environ, le moteur s'arrêta. On déplaça une nouvelle fois le cercueil avant de le reposer.
Une voix s'éleva alors.
- Si nous sommes tous réunis ici en ce jour, c'est malheureusement pour dire une dernière fois adieu à notre ami à tous, Richard Dupont...
Et merde, pensa ce dernier. Ils vont m'enterrer.
Celui qui devait être le prêtre continua son long discours. Richard n'avait qu'une envie: leur hurler à tous qu'il était là, bien vivant, mais c'était faux et il le savait: il était mort. Lorsque le prêtre eût terminé, il prononça ces derniers mots:
- Adieu, Richard.
Tous ceux qui étaient présents reprirent en choeur. Il devait bien y avoir toute la famille et les amis de Richard.
Alors, Richard entendit... des bruits de terre. Des bruits de terre qui chutait sur quelque chose de dur.
On l'enterrait.
Richard ne savait pas quoi faire. Il n'y avait rien à faire. Bientôt, les bruits s'arreterent et chacun rentra chez lui. Tous sauf Richard. Lui, il resta dans son cercueil sous terre, dans le noir et le silence.
Pour l'éternité.