Justice D'Outre-Tombe

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Je pense qu'il est grand temps de coucher toute cette histoire sur le papier. Vous ne me croirez sans doute pas, mais, en fait, je m'en fous. Parce qu'au moment où vous lirez ces mots, ça fera sans doute un bail que je me serais foutu en l'air.

Vous savez, je pense sincèrement que chacun d'entre nous est né avec un don bien précis. Certains possèdent un humour fantastique (j'en connais qui seraient capables de faire rire des murs), d'autres un charisme à tout casser, et d'autres encore prétendent pouvoir parler aux morts. Moi, mon don, c'est de tuer des gens.

Cela ne signifie pas forcément que j'aime le faire. Il est vrai qu'un meurtre de temps en temps me permet de me détendre, comme le ferait une bonne partie de FIFA, mais à part ça, tuer ne m'apporte aucun plaisir. Si je le fais, c'est uniquement parce qu'on me paie pour ça. Et pas qu'un peu.

Vous n'imaginez sans doute pas le nombre de personnes qui veulent votre mort. Si vous êtes encore en vie à l'heure actuelle, c'est uniquement parce qu'elles n'ont pas les moyens de payer quelqu'un comme moi. Sinon, je peux vous assurer qu'elles le feraient. On m'a déjà commandé des meurtres de belles-mères agaçantes, d'exs un peu collant, de rivaux sentimentaux et un jour un homme m'a même demandé de tuer sa femme. Comme quoi, vos ennemis ne sont pas toujours ceux que vous croyez.

Pourquoi fait-on appel à moi, le plus souvent ? Je ne voudrais pas me vanter, mais les faits sont là: je suis particulièrement performant. Discrétion, rapidité, efficacité. Telle est ma devise. Les prix sont élevés, cela est vrai ; mais ôter la vie d'un homme sans se faire prendre n'est pas chose aisée. Cela demande beaucoup d'expérience dans le domaine du meurtre.

Et de l'expérience, j'en ai.

Mon premier meurtre date du CM2. Nous étions en sortie scolaire, en pleine campagne, pour étudier le fonctionnement de je ne sais plus quelle sorte de moulin. À un moment, alors que nous étions au sommet du bâtiment, une élève s'est écartée du groupe (elle s'appelait Anaïs, je crois) et s'est dangereusement approchée du bord. Je me demande d'ailleurs comment elle a pu faire, avec les 6 adultes qui surveillaient le groupe attentivement. Toujours est-il qu'à ce moment là, mon ami Bruce (il détestait Anaïs depuis qu'elle avait refusé de lui faire un bisou malgré tous les malabars qu'il lui avait offert) s'est penché sur moi et m'a chuchoté en ricanant:

- Hé, Steve, j'te passe 7 malabars si tu la pousses dans le vide !

- Ok.

Je me suis approché d'elle, je lui ai donné un coup de pied dans le dos et elle est tombée.

Lorsque je me suis retourné, Bruce était livide. Il me regardait comme si j'étais complètement cinglé, oubliant visiblement que c'était son idée.

Rétrospectivement, il me paraît évident qu'il avait formulé cette idée pour plaisanter uniquement, mais ma notion du second degré était extrêmement étroite à cette époque.

Quoi qu'il en soit, personne n'a jamais su que c'était moi. J'ignore comment un tel miracle est possible, mais tout le monde a conclu à un accident.

Quant à Bruce, il n'a jamais révélé la vérité. Après tout, c'était son idée. Il avait une part de responsabilité dans cette affaire. Je pense qu'il a même certainement eu des remords jusqu'à la fin de sa vie, il y a de ça une dizaine d'années, lorsque je l'ai tué à la demande d'un client.

Anaïs n'était que la première d'une très longue série. J'ai tué un nombre assez incroyable de personnes, en trente-deux ans, si bien que je ne me souviens pas de tous.

Mais tout ça, c'est fini.

Ma dernière victime a eu raison de moi, d'une manière que vous aurez du mal à imaginer. Je suis encore en état d'écrire ces mots, pour l'instant, mais ça risque de ne plus durer longtemps. C'est déjà un miracle que j'aie gardé la raison jusqu'ici.

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