Quand j'ai reçu le coup de fil venant du ministère en rentrant de l'école, un homme m'a expliqué que mon oncle Caleb, le grand frère de ma mère, était mort d'une crise cardiaque.
C'est ainsi que je me suis retrouvée ici, assise en face du ministre des transferts. Je n'ai pas très bien compris ce qu'il me voulait mais tout ce que je sais, c'est que je ne suis plus la bienvenue chez moi.
- Je vous présente mes condoléances, commence le petit homme aux cheveux grisonnants.
C'est fou ce que je déteste ce genre de banalités. Parler est un don précieux qu'on gaspille avec des mots vides de sens qui résonnent comme un bruit creux et non comme une signification distincte.
- Je vous remercie, répondis-je tout de même.
- Vous devez vous demander ce que vous faites dans le département des transferts alors que vous êtes en plein deuil.
- En effet...
- Et bien, explique le ministre, il se trouve que le testament de votre oncle stipule clairement qu'il voulait qu'à sa mort, vous soyez transférée.
Je ne comprends pas immédiatement ce que cela implique. Je me contente de rester silencieuse. Oncle Caleb me disait souvent "Si tu n'as rien à dire, écoutes."
- Votre avion part dans une heure. Vous quitterez Canberra pour vous installer dans un pays isolé du reste du monde... On l'appelle Esperance.
- Pourquoi dois-je être transférée ? Je croyais que les citoyens n'étaient autorisés à changer de pays que dans de rares situations.
- C'est exact, affirme l'homme en hochant sa petite tête ronde. En plus du testament, il se trouve que vos parents sont originaires d'Esperance. Par conséquent, selon les lois, votre place est là-bas et non ici.
- Mes parents sont portés disparues depuis longtemps, lui rappelais-je.
- C'est le règlement, se borne le ministre.
Il jette un coup d'œil à sa montre et il me prévient :
- Vous avez 55 minutes pour plier bagages et vous présenter à l'aérostation.
Pourquoi Caleb aurait-il voulu que je quitte ma ville, celle où j'ai grandis depuis toujours, pour m'installer dans un pays où je ne connais personne ? Mon oncle était la seule personne encore vivante de ma famille... Mes parents ont disparu quand je n'étais encore qu'un bébé alors j'ai toujours vécu avec lui.
Quoi qu'il en soit, je me lève du fauteuil inconfortable qui me faisait mal au dos et je quitte la pièce sans même prendre la peine de saluer le ministre.
Je prends le bus pour retourner à la maison. L'appartement de Caleb paraît bien vide sans lui... En revanche, il y a toujours cette délicieuse odeur de papier, d'encre et de camélias. C'étaient les fleurs préférées de ma mère apparemment. Je passe devant le grand salon où trône une petite bibliothèque débordante de livres et une pointe de nostalgie s'empare de moi en pensant que je ne pourrais plus jamais m'asseoir au coin du feu et poser ma tête sur les genoux de mon oncle pendant qu'il me lirait un poème. Je m'approche et je souffle un grand coup sur les nombreux ouvrages. Une nuée de poussière s'envole et je suis prise d'une quinte de toux. Je laisse mes yeux glisser le long des reliures avant de faire un choix qui me paraît évident : le livre préféré de Caleb. Un recueil de poème qui parlent de l'automne. Je le prend avec précaution et le serre contre mon coeur.
J'ai beaucoup de mal à quitter l'appartement des yeux... On m'a souvent dit que les gens avaient beaucoup de mal à laisser s'en aller le passer. Mais je me rends compte seulement maintenant à quel point c'est vrai. En revanche, je pars avec la certitude que mon oncle savait parfaitement ce qu'il faisait en m'envoyant moisir dans cette cage. Enfin... j'essaie de m'en persuader en tout cas.
VOUS LISEZ
Les mots interdits
Ciencia Ficción150 ans après la destruction des Etats-Unis, une terre nouvelle renaît de ses cendres : Esperance. Après la terrible guerre qui fut engendrée par la rébellion du peuple contre le gouvernement, ce dernier décida d'interdire la musique, les livres...