Il était venu se poser sur le garde-fou de mon minuscule balcon et me donnait l'impression de me lorgner du coin de l'œil sans que j'en aie la certitude. J'ai suspendu mon mouvement, subitement. Machinalement. Parce que mes parents m'ont trop souvent répété qu'il ne faut pas bouger pour ne pas effrayer l'animal qui vous voit surgir. Alors, même si ce n'était qu'un stupide volatile trop gras et pas beaucoup moins bête qui squattait un bout du chez moi que je louais, je me suis figé. Je me suis dit que si j'étais là, il avait bien le droit d'y être aussi. Je me suis contenté de l'observer en empruntant un air aussi vide d'intelligence que lui, par mimétisme peut-être. J'ai réfléchi. En trois ans que j'habitais ici, je n'avais encore jamais vu un oiseau se poser aussi négligemment sur mon balcon et y rester en me voyant approcher. C'était un petit miracle ordinaire et ça me plaisait. C'était rafraichissant.
Le concert retentissant qui se jouait dans la rue n'avait pas l'air de le troubler. Pourtant je le soupçonnais de feindre la nonchalance, aussi je pris le soin de ne faire aucun mouvement brusque pour attraper mon paquet de clopes qui trainait sur le lit et je m'en suis allumé une sans le quitter du regard. Je me suis mis à l'observer plus attentivement. Il avait un œil rouge sang et ça me fascinait. Je me suis demandé si tous les pigeons avaient ce même iris et je me suis rendu compte que je n'en savais rien. Pourtant, ce ne sont pas les pigeons qui manquent, en ville, ils sont toujours un petit régiment à arpenter les terrasses des cafés pour récupérer les miettes des croque-monsieur des clients qui passent, mais là, je ne savais pas et ça a commencé à me travailler. J'étais prêt à aller vérifier sur internet, ou à demander à un de mes colocs la réponse à l'insoutenable question quand une petite voix dans ma tête m'a rappelé que j'avais une écriture sur le feu. Je devais m'y mettre oui. Déjà, je sentais que l'envie s'érodait, même si elle demeurait présente. Alors, presque à contre-cœur, je me suis arraché à ma contemplation inutile et je me suis résolu à me lancer enfin. Toutefois, pour avoir toujours mon pigeon en visuel, j'ai déplacé mes affaires vers ma table-basse et je me suis calé sur mon plumard, à deux ou trois mètres de lui maximum. Et puis, j'ai tâché d'ignorer un peu l'oiseau à l'œil rouge vif pour me recentrer sur ma feuille. À nouveau, c'était moi, mon crayon et le vide autour, paré à composer un chef-d'œuvre, même si j'espérais secrètement que mon pigeon fasse un truc vraiment sensationnel pour mériter que je lui reporte toute mon attention de manière justifiée.
Mon pigeon ne s'est pas mis à parler, mon pigeon ne m'a pas demandé s'il restait une bière au frigo – il aurait été déçu, je n'en avais pas – il s'est simplement mis à roucouler. Comme tout bon pigeon. C'était d'une banalité inouïe, pourtant j'ai pris sa chansonnette pour un appel du pied aussi, dès le premier accord, j'ai reposé mon crayon et me suis mis en tête de communiquer avec l'animal puisqu'il n'attendait que ça. J'ai commencé à siffloter, et sans me vanter, je suis quand même un pro en la matière. Je refais les classiques des westerns spaghettis sans une fausse note. Sauf que mon piaf n'a pas accroché, et j'ai trouvé ça un peu vexant de le voir me surplomber de toute sa bêtise toujours juché sur mon balcon comme si maintenant, c'était le sien. L'air de dire, je te domine mec. J'ai pas pu m'empêcher de me sentir con, mais je me suis pas découragé et au bout d'une poignée de minutes d'efforts soutenus, la boule de plumes a recommencé à roucouler. J'en ai conclu qu'il était donc timide et qu'il n'avait jusque là pas réussi à me répondre, écrasé par sa gêne envahissante. Sauf que, en plus d'être un grand timide, il s'est avéré être un oiseau peu loquace puisque dix secondes plus tard, il se murait à nouveau dans le silence pour ne plus le quitter malgré mes tentatives répétées.
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Le pigeon
Cerita PendekParfois, on est convaincu qu'on va écrire le jour même une histoire formidable. Une qui va casser la baraque. C'est rarement le cas.