C'était l'aprèm. On arrivait sur les seize heures et j'en avais toujours pas collé une de ma journée. Je n'avais fait que lézarder au plumard et ça me convenait plutôt bien jusqu'à maintenant, précisément. Mais là, entre la fin d'un tournoi de poker galvaudé devant la malchance récalcitrante – enfin, c'est comme ça que tout le monde explique ses défaites, je vois pas pourquoi je ferais autrement même si dans le fond je sais pertinemment que j'ai joué comme une quille – et le début du suivant qui s'annonçait pas sous de meilleurs hospices, ça m'a pris. Cette espèce de désillusion vannée, cette vague de lassitude soudaine de tout qui débarque parfois dans ta tête pendant les longues et vides journées d'oisiveté. Et uniquement d'oisiveté parce que, ne nous mentons pas, quand on est trop occupé à trimer au boulot pour se poser des questions profondes, c'est rare qu'on se tracasse plus que nécessaire. Quand on sue au turbin toute sa semaine, niveau questionnement on s'en tient à du " Je vais bouffer quoi ce soir ? ", du " J'espère que je vais pas me choper les embouteillages " ou du " Vivement le week-end, plus que trois jours à tirer ". Rien qui puisse vraiment ébranler son homme. L'activité tient éloigné des coups de blues parce qu'on a pas de temps à leur consacrer, c'est comme ça. Mais comme moi, c'est du travail que je me tiens éloigné, j'ai tout le temps de me triturer les méninges – pour rien, 99% du temps – et je croise parfois le cafard au détour de mon inaction. Ça m'emmerde pas plus que ça d'habitude, c'est pas un squatteur du type envahissant comme peut l'être la connerie. Elle, elle requiert de toi une imagination et une envie de bouger débordantes. Avec le cafard, on en est loin. Tu fais tout comme d'habitude, sauf que les couleurs ne sont plus là. Les excès non plus. Rien n'est plus laid, ni beau, juste profondément désintéressant. Rien n'est bleu, ou rouge, ou jaune, tout est juste gris et assez fade. La table basse, dans ma piaule, elle est déjà grise. Aussi je suis jamais vraiment troublé quand le spleen arrive.
J'ai bien senti l'enroule qui se tramait en fermant mon logiciel de poker en ligne et j'ai pris la décision de tirer profit de cet état et de remettre le couvert niveau écriture. J'avais déjà gaspillé trois jours à me tenir profondément éloigné du moindre stylo par peur de cracher un mot ou deux dans un carnet sur un malentendu, il était temps que ça cesse. Je me suis pris une grande rasade d'eau – fait rare – et, armé de toute l'étrange motivation que procure chez moi le bourdon, je me suis calé à mon bureau pour la première fois de la semaine. Rien que ça m'a demandé un certain temps parce que le malheureux était recouvert de linge sale, de courriers vieux comme le monde et de divers trousseaux de clefs qui réduisaient à néant l'espace de travail disponible. Mais rien ne pouvait m'arrêter et dix minutes plus tard, je me retrouvais le cul sur ma chaise, un crayon en main au dessus d'une feuille A4 vierge, prêt à faire s'abattre toute la démesure de mon inspiration en un furieux torrent de mots. J'étais parcouru de ce feu qui s'anime sans crier gare et qui avertit son hôte qu'il est en passe de gratter un paragraphe mémorable – ou deux, ou dix – dont il est très fier sitôt l'écriture achevée et qui rebooste l'estime qu'il se porte à chaque nouvelle lecture qu'il en fait. J'apercevais déjà les contours, encore indistincts certes, mais bien présents, d'une multitude d'histoires; les personnages s'y animaient avant même que je ne leur aie donné vie de sorte qu'il ne me restait plus qu'à piocher le numéro gagnant dans le lot des paniers proposés tant j'avais la sensation de tenir une corbeille remplie de pépites grosses comme le poing. Du caviar à tous les étages. L'opulence la plus totale. D'ordinaire, je galère pour mener une idée à son terme – un problème à voir avec ma flemme – mais là, j'en avais un véritable bouquet sous la main. Elles étaient toutes aussi aguichantes et prometteuses les unes que les autres derrière leurs pétales. C'était le pied.
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Le pigeon
Short StoryParfois, on est convaincu qu'on va écrire le jour même une histoire formidable. Une qui va casser la baraque. C'est rarement le cas.