Chapitre 3 - L'apparence et le comportement de la Bête

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Si vous le voulez bien, faisons une petite pause dans l'exposé du carnage, afin de procéder à quelques constats.

Car, en ce début d'année 1765, on a désormais de nombreux témoignages dignes de foi permettant de se faire une idée de l'apparence de cette « Bête qui mange le monde ».

Duhamel lui-même l'a vue d'assez près pour pouvoir la décrire.


Alors, à quoi ressemble-t-elle au juste ?

Tout d'abord, personne n'emploie le mot « loup » pour parler d'elle : certes elle ressemble vaguement à un loup mais on dit « la Bête », ou du moins ce mot traduit en langue occitane bien sûr.


Elle est décrite comme ayant la taille d'un veau d'un an, avec un très fort poitrail mais l'arrière du corps allant en s'effilant, un peu à la manière d'un lévrier.

Ses pattes avant, munies de grosses griffes, sont très puissantes mais paraissent plus courtes que les pattes arrière.

Sa tête est monstrueuse au regard de la taille globale de l'animal, avec une gueule énorme qu'elle tient toujours ouverte, la langue pendant constamment en dehors.

Les oreilles sont courtes et droites, la queue longue et très touffue.

Son poil est rougeâtre, gris à certains endroits, et blanc sur le poitrail. Elle a une raie noire sur le dessus du corps, allant de la tête à la queue.


Elle n'aboie pas, ni ne hurle, mais gronde sourdement.


Elle se déplace en trottinant lorsqu'elle n'est pas pressée, sinon elle court en bondissant, et nage bien.

On l'a vue franchir d'un bond des obstacles d'une grande hauteur et son agilité est telle qu'il est très difficile de lui porter un coup suffisamment puissant pour la blesser, d'autant que si sa première attaque échoue, elle tourne à toute vitesse autour de sa victime afin d'essayer de la prendre à revers.

Elle possède également une force peu commune, arrivant à fuir très rapidement en emportant un enfant avec elle.

On la signale à des endroits éloignés les uns des autres dans des intervalles de temps assez courts, ce qui est la preuve de sa vélocité.

Le franchissement de ces distances reste toutefois concevable pour un tel animal et l'on ne rapporte aucun cas où elle aurait été vue simultanément à deux endroits à la fois, ce qui tend à faire penser qu'il s'agit (en tout cas pour l'instant) d'un seul et même animal.


Son comportement est pour le moins singulier : tantôt elle semble méfiante et craintive, tantôt elle fait preuve d'une audace incroyable, n'hésitant pas à se montrer en plein jour au beau milieu des habitations et à y attaquer quelqu'un.

De même, si quelquefois elle renonce très rapidement à l'attaque qu'elle semblait projeter, à d'autres moments elle fait montre d'un acharnement terrible.

De l'avis unanime, elle dédaigne les animaux d'élevage, y compris les moutons, pour s'en prendre directement aux humains.

En outre, on se rendra compte par la suite que si la majorité des victimes qu'elle a tuées sont des femmes et des enfants, c'est sans doute parce que ce sont ceux-ci qu'elle rencontre le plus fréquemment en train de garder les troupeaux, car elle n'hésite pas à s'attaquer à des garçons déjà gaillards et à des hommes adultes, même armés d'outils.

Elle semble aussi être étrangement maligne, comme si elle sentait tout d'avance : elle ne touche pas à la viande empoisonnée, se joue des pièges et des battues, attaque où on ne l'attend pas.

Elle peut rester plusieurs jours, voire plusieurs semaines (du 30 juin au 8 août 1764, ou encore du 8 août à fin août 1764, par exemple) sans attaquer personne, ce qui paraît constituer la preuve qu'elle ne se nourrit pas exclusivement de chair humaine.

D'ailleurs, si certains corps sont retrouvés largement dévorés, d'autres ne sont que très peu entamés, voire intacts pour certains.

Quand elle dévore ses victimes, la Bête semble avoir une prédilection pour les cuisses, les épaules et le cou, la poitrine lorsqu'il s'agit de femmes, et certaines entrailles comme le foie. Elle ronge aussi quelquefois la tête et lape le sang.

Il est avéré qu'elle peut arracher sans peine le bras d'un enfant mais, si certaines victimes ont été décapitées, on ne possède à ce moment (et l'on n'en possèdera jamais à ma connaissance) aucun témoin direct d'une décapitation.


Bref, on l'aura compris : il s'agit d'un drôle d'animal, cette Malebête comme on l'appelle aussi là-bas.


Vous vous dites sans doute qu'il ne sera pas facile de venir à bout d'un tel bestiau, dans une région aussi accidentée où il est difficile de le poursuivre entre monts et profonds ravins tant à pied qu'à cheval et où les cachettes abondent partout ?

Eh bien vous avez raison : le capitaine Duhamel, malgré le fort louable zèle qui l'anime, n'est pas au bout de ses peines, tout comme ceux qui vont lui succéder, car il va y en avoir d'autres après lui.


Et l'on n'a pas fini de ramasser les morts...

La Bête du Gévaudan, une histoire vraieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant