Chapitre V - Isis

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Mes jambes élancées se balancent au rythme des pulsions enflammées de mon coeur. De mes talons, je martèle furieusement le sol dallé et grisâtre de l'orphelinat.

Les murs du couloir défilent avec frénésie, tandis que je les scrute de mon regard courroucé. Chambre 108. Chambre 109. Chambre 110...

Chambre 118.

J'ouvre la porte à la volée et celle-ci va s'écraser bruyamment contre la cloison.

- Aël ! je vocifère.

Un grognement indistinct me parvient de la partie supérieure du lit en hauteur. Je ne retiens pas le soupir agacé qui glisse hors de mes lèvres.

- Encore couché, je maugrée. Aël, tu es au courant qu'il est presque midi ?

En réponse, je n'ai droit qu'à un nouveau grommellement. Je fonds sur la fenêtre et ouvre d'un geste sec les immondes rideaux flavescents. Un rayon de soleil atterrit droit sur le visage endormi d'Aël, qui utilise sa couverture comme bouclier.

Nouveau râle.

— Isis, laisse-moi tranquille, me supplie-t-il de sa voix rendue rauque par le sommeil.

Je m'approche de son lit en deux enjambées et lui retire violemment le drap.

— Isis ! il marmonne, indigné.
Il couvre sa tête de ses bras et se recroqueville en gémissant. Je lève les yeux au ciel, adoucie par mon frère jumeau et son visage d'ange.

— Et puis pourquoi tu m'as réveillé ? Ça ne te dérange pas d'habitude que je dorme aussi tard. On ne mange qu'à 13 heures, d'abord...

Je passe une main dans les cheveux bruns de mon frère. Il la chasse d'un coup d'oreiller paresseux.

— Arrête de faire comme si j'étais plus petit que toi, ronchonne-t-il en se redressant sur un coude et en me transperçant de son regard émeraude embrumé par cette langueur propre aux sommeils interrompus.

— En terme de taille, tu l'es, je ricane.

— De deux centimètres, proteste-t-il en souriant. De toute façon, tu mets toujours des talons de la taille d'un baobab. Et puis, ajoute-t-il en voyant mon regard agacé, tu ne m'as pas répondu. Contrairement à toi, je ne lis pas sur le visage des gens.

- J'ai... des nouvelles. Sur ces adolescents.
Les pupilles d'Aël s'éclaircissent en même temps qu'il se redresse entièrement. J'en conclus que sa somnolence s'est bel et bien volatilisée.

— Pourquoi tu ne m'as pas réveillé ? Tu sais bien que le seul moment où on peut regarder les infos, c'est le matin ! s'écrie-t-il, outré.

— C'est bon, calme-toi. De toute façon, la salle commune était bondée. Tout le monde est fasciné par ces gens, on dirait.

— Tout de même, tu aurais pu...

— Tu veux savoir ce qu'il s'est passé, oui ou non ? je l'interromps, impatientée.

— Vas-y, je t'écoute, finit-il par soupirer.

Instinctivement, mes traits se durcissent, transformant mon visage exotique en un masque de gravitude.

— Je te préviens, ce n'est pas plaisant à entendre. La fille invisible arrêtée hier a bien été conduite aux National Institutes of Health. En revanche, l'autre... Celui qui peut foudroyer au touché...

Je grimace.

— Il s'est échappé de sa cellule.

Aël me dévisage, abasourdi.

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