Chapitre II - Isaac

311 45 15
                                    

Aujourd'hui est un jour spécial. Un jour qui va me voir entrer dans l'histoire.

Rien ne peut entacher ma bonne humeur.

Rien ne peut entraver ma route.

J'emprunte le couloir longé de portes massives, chacune encadrée par des baies vitrées vertigineuses.

Sur ma droite, un groupe de filles s'est agglutiné sur un banc. À mon passage, elles gloussent et caquètent de manière ostentatoire. Je m'efforce de leur rendre leur sourire, celui en coin qui les fait soupirer de contentement.

Bande de dindes.

Je me mords l'intérieur de la joue pour me retenir de leur cracher ça à la figure. La popularité n'est pas une fleur qui n'attire que des papillons...

L'une des guêpes profite de l'opportunité pour me héler :

- Isaac ! Houhou, on est là !

Je plante mes ongles dans la paume de ma main. Hors de question de décamper, même si ce n'est pas l'envie qui m'en manque. Ce n'est pas le moment de ruiner ma réputation - surtout pas avant l'apothéose de ma gloire.

J'ordonne à mes jambes réticentes de faire un pas vers elle.

- Salut Carla, dis-je d'un ton nonchalant. Vous séchez encore les cours ?

- Les cours de maths sont vraiment trop relou, que veux-tu, minaude-t-elle en soupirant exagérément, telle une bécasse en talons aiguilles et mini jupe-bout-de-tissu.

Elle me toise des pieds à la tête , l'air appréciateur.

- Tu ne veux pas te joindre à nous ? ronronne-t-elle en battant des cils et en approchant dangereusement sa main de mon torse.

Je frémis à la vue de ses ongles longs et griffus, peints dans un rouge écarlate. Je m'écarte à temps, faisant mine de continuer mon chemin.

- Non, réponds-je. Aujourd'hui, quelque chose va se passer, et je ne veux rater ça pour rien au monde.

Pour une fois, je lui adresse un vrai sourire, large et franc.

Carla me dévisage, suspicieuse. Apparemment, mon numéro de mec mystérieux et secret marche mieux que celui du gars honnête.

- De quoi tu me parles ? me questionne-t-elle, une moue théâtrale d'incompréhension collée au visage.

- Bon, à ce rythme là, je vais finir par me faire exclure à cause de mon retard, fais-je en me raclant la gorge. Salut !

Je m'éloigne en pressant le pas, évitant ainsi les interrogations gênantes de Carla. De toute façon, elle sera bien assez tôt au courant de mon coup de théâtre. Je n'avais aucune envie de lui parler, de surcroît, ni à elle, ni à aucune des filles de cet établissement.

Tout, dans ce lycée privé et fortuné, suinte le luxe et les faux-semblants. Carla n'est qu'une hypocrite parmi tant d'autres, le comportement maniéré et les vêtements trop chers en plus.
Comme je l'avais prédit, j'arrive en classe avec un retard considérable.

Rien d'inhabituel, en revanche. Je sèche souvent les cours inutiles - je veux bien avouer que sur ce point, Carla et moi ne sommes pas si différents - ou les rejoins une dizaine de minutes après la sonnerie.

Je peux bien me permettre ce privilège ; la directrice ne renverrait jamais un élève aussi brillant - et riche, accessoirement - que moi, contrairement à ce que j'ai dit à Carla.

Le professeur d'anglais, Mr. Harris, se contente de m'envoyer à ma place d'un geste las de la main.
Quand, après m'être laissé choir sur mon siège et avoir négligemment sorti une trousse et une feuille, l'instituteur reprend son cours, je devine qu'il est en train de lire un extrait d'Hamlet.

AnomaliesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant