Chapitre IV - Lexy

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Pour la centième fois au moins, je froisse rageusement la feuille avant de la jeter dans un coin de la pièce. Déjà, un amoncellement de papiers chiffonnés s'y entasse.

Je me prends la tête à deux mains, avec un cri de frustration étouffé. Tout ça me donne la furieuse envie de m'arracher les cheveux. Ils sont déjà assez courts, inutile de les raccourcir encore, me raisonné-je à contrecoeur.

Je laisse ma crise de nerfs s'atténuer, puis je relève la tête et contemple d'un air maussade mon bureau de vieux bois qui, malgré sa petite taille, est déjà bien encombré. À ma gauche, une pile de feuilles est soigneusement empilée - surprenant pour une fille aussi bordélique que moi. Reportant mon regard sur la droite, je croise la mine déconfite et usée de mon stylo plume, loyal camarade de toujours. Seul camarade, en fait. Mon moral baisse encore d'un cran. D'autres babioles, du magazine au carnet de notes, en passant par la boule à neige, tiennent compagnie à mes instruments d'écriture.

Le reste de mon appartement n'est guère plus intéressant. La moitié d'un mur est occupée par une bibliothèque croulant sous les livres lus et non lus - bon, d'accord, surtout non lus. À peine deux mètres la séparent d'un étroit lit aux draps décrépits.

Dans une alcôve, trône la minuscule cuisinière, marquée par des traces de brûlure. Souvenir gênant de mes premières fois en cuisine. J'ai immédiatement compris que "cordon bleu" ne serait jamais un adjectif pour moi.

Je n'ai même pas envie de penser à la salle de bains. J'ai déjà suffisamment maudit ce lieu de torture - je n'ai même pas la place d'étendre mes deux bras !

Après avoir emménagé ici, j'ai assez vite compris que c'était bien plus une mansarde qu'un appartement, avec son unique fenêtre en forme de hublot et ses quatorze mètres carrés à tout casser. Les murs sont défraîchis, le plancher prêt à s'effondrer, tout comme le plafond d'où émergent des fils qui me laissent pour le moins perplexe.

C'est dans une cellule, que je vis . Et moi qui ne rêvais que de liberté...

À l'évocation de ce souvenir, je me renfrogne. Hors de question de penser à ça. Je vais finir par faire une dépression.

Je me demande tout de même comment, en 2044, des logements aussi misérables peuvent encore exister. Et le développement des aides sociales promis, alors ? Il est vrai, certes, qu'avec tous les bouleversements mondiaux des vingt dernières années, le gouvernement n'a pas vraiment eu la tête à son propre pays. D'autant plus que nous ne sommes pas totalement à plaindre. En 2022, la Grèce, ensevelie sous les dettes, disparaissait pour être séparée en plusieurs petits états indépendants, les États des Balkans de l'extrême Sud. La Corée fut réunifiée après la révolution de 2025 et l'abdication de Kim Jong-Un. 2026 ; la Russie fut découpée en deux états distincts : la République démocratique Russe, ou RDR, à l'ouest, pacifique et populaire, et l'Empire Russe, à l'est, dictatorial. Alors que la RDR et les États-Unis ont signé un traité d'alliance, les tensions sont toujours bien présentes avec l'Empire Russe. Par ailleurs, désireuse de s'intégrer pleinement, la RDR entra dans l'Union européenne en 2027. En 2031, survenaient les complications : un tsunami d'une puissance jamais égalée engloutit le Japon, ne laissant derrière lui que des îlots. Ce qui reste du pays fut alors renommé l'Archipel japonaise et sombra rapidement dans la déchéance et la pauvreté, malgré l'aide financière et humaine apportée par le reste du monde. La côte est de la Chine fut elle aussi ravagée par cette catastrophe naturelle qui fit des milliards de morts. Deux ans après, dans la région française de l'Auvergne, un volcan se réveilla et rendit la région ainsi que ses environs inhospitaliers. Pendant ce temps, les guerres continuaient - et continuent toujours - , dont les fameuses et sempiternelles Grandes Guerres d'Orient. En outre, les innovations scientifiques et technologiques ont grandement été perturbées et ralenties par ce désordre mondial. Pas de robots à tous les coins de rue, pas de remède au cancer, et encore moins de vaisseaux spatiaux.

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