Chapitre 5 : Alain

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L'opération s'est passée sans difficultés il y a plusieurs semaines. Le chirurgien a ôté la tumeur et avec elle une partie du sein de Florence. Elle a enchaîné avec une séance de radiothérapie qui la quelque peu fait souffrir et a commencé sa chimiothérapie. Je remarque déjà que mon épouse perd du poids et de l'appétit mais ce qui m'inquiète le plus c'est de la voir sans son moral enjoué habituel. Ma femme a toujours été un rayon de soleil pour toute notre famille et s'observer dans un miroir perdre sa féminité la torture.
- Je commence à perdre mes cheveux, me lance t-elle tristement en descendant les dernières marches qui mènent à l'étage de notre maison.
- Ça ne se voit pas, et ne t'inquiètes pas, je suis sûr que ça repoussera vite après tout ça.
Je tente de la rassurer comme je le peut mais je remarque bien qu'elle en perd de plus en plus. Son oreiller s'en retrouve couvert le matin.
- Bien sûr que ça se voit, regarde ! dit-elle en penchant la tête en avant en arrivant à ma hauteur. On dirait que ma raie s'élargit, je perds mes cheveux sur le dessus.
- Oui, c'est vrai. Si tu veux on ira acheter des bandeaux et cet hiver tu pourras porter des bonnets.
Florence relève la tête et ses yeux d'un vert émeraude ne m'ont jamais parus aussi triste, sauf à la suite du décès de sa mère.
- Je pensais me les couper courts et quand le moment sera venu, je préférerais porter un perruque. Je sais que ce n'est pas donné mais...
- Tout ce que tu voudras mon amour, la coupé-je. C'est déjà difficile donc si ça peut t'aider je n'y voit aucuns inconvénients.
Elle exquise un léger sourire et se blottie dans le creux de mes bras.
Florence a toujours été mon roc, mon point d'encrage, mais ces dernières semaines, elle semble si frêle, si fragile que j'ai l'impression de me perdre également.
- Demain j'ai rendez-vous avec la psychologue de l'hôpital, si tu souhaites m'accompagner, tu peux, lance-t-elle.
Notre médecin traitant m'a arrêté pour que je puisse rester auprès de Florence et la soutenir dans cette épreuve.
- Merci mais tu sais très bien ce que j'en pense. Si toi ça t'aide tant mieux mais ne m'impose pas ça.
- Bien, bien, j'ai compris mais qui ne tente rien n'a rien.
Elle m'embrasse et moule son corps contre le mien. Je stope là notre étreinte et décide d'aller courir pour m'apaiser.
Je file dans notre chambre à l'étage pour enfiler une tenue plus adéquat pour faire mon sport. Ça faisait des années que je n'avais pas couru et de savoir ma femme malade me met tellement en rogne, que c'est pour moi un moyen d'extérioriser.
Pas besoin de ces psys à la con, pensé-je.
Pourquoi aller discuter avec quelqu'un qui de toute façon ne changera en rien cette situation. Pourquoi vouloir apaiser cette haine ? C'est elle qui me permet de continuer à me battre, de ne pas baisser les bras et surtout de ne pas me voiler la face ! Oui, cette maladie est une fourbe, qui s'attaque lorsqu'on s'y attend le moins, et qui à la moindre faiblesse gagnera du terrain.

***

Les journées défilent et Florence continue son traitement de chimiothérapie. Ses cheveux tombent de plus en plus et elle le vit atrocement mal. J'ai appelé pour elle un perruquier qui doit arriver d'une minute à l'autre.
- Pas trop stressée mon coeur ? Je suis sûr que ta nouvelle coupe te plaira!
J'essaie d'être le plus diplomate possible, elle qui a toujours aimé ses cheveux longs, va les couper courts et choisir sa future perruque. Une étape autant importante qu'angoissante.
- Oui, j'ai mal au ventre, se confesse t-elle.
Elle torture ses pauvres phalanges et regarde la porte apeurée comme si celle-ci allait s'ouvrir sur le diable en personne.
Je tapote ma cuisse et l'appelle.
- Viens là.
Elle s'asseoit sur moi et passe les bras autour de ma nuque.
- Cette coupe t'iras bien, tu verras les enfants te le diront aussi ce soir.
Nous sommes interrompus par la sonnette du portail.
- L'heure a sonné ! lance t-elle en se dirigeant vers l'entrée pour ouvrir.
Elle ouvre la porte sur une homme d'environ notre âge. Il nous salue et je me rends en cuisine pour nous préparer un bon café.
Lorsque je reviens dans notre salle à manger avec un plateau sur lequel est disposé café, sucre et quelques biscuits, je les écoute se mettre d'accord sur le modèle de la future perruque.
- Bien, je pense que la coupe à la garçonne vous ira très bien. Vous pourrez au départ sentir une certaine gêne lorsque vous la porterez, ça pourra être quelque peu inconfortable et même provoquer quelques démangeaisons, mais c'est tout à fait normal. Votre cuire chevelu est assez sensible je suppose ?
- Oui, je ne supporte même plus ma brosse.
- C'est souvent le cas. Il faudra à votre crâne un moment d'adaptation. C'est pour ça que je vous propose de commencer par une coupe courte, vous pourrez alors enlever votre perruque lorsque vous en sentirait le besoin, vous pourrez envisager une coupe plus longue quand vous supporterez bien celle-ci. Le contraste entre votre visage sans cheveux et avec une perruque courte sera moins choquant pour vous, comme pour votre entourage. Soyons bien d'accord madame Dufils, au départ si vous la supportez plusieurs heures dans la journée se sera très bien. Ne culpabilisez surtout pas de l'enlever ! Et puis aujourd'hui je vous coupe simplement les vôtres. On en reparlera quand je reviendrais avec votre perruque.
- D'accord.
Je sers les cafés sans oser les interrompre.
- Je vous conseille également de commencer à mettre sur votre tête un joli foulard, ça va vous habituer à votre nouvelle apparence et de ce fait vous ferez de même avec la perruque. Puis lorsqu'elle vous gênera, vous pourrez l'enlever et remettre votre voile. Il vous sera plus facile de vous y habituer dès le départ.
- Merci de vos conseils, répond-elle tête basse.
- Mais je suis aussi là pour ça madame, lui dit-il d'un ton complaisant en lui pressant doucement l'épaule.
Je leur tends leurs tasses fumantes et tandis que l'homme y ajoute un sucre, Florence me chuchote un merci les yeux brillants.
Son merci n'est pas simplement dit pour son brevage. Elle me le dit également pour ma présence auprès d'elle. Ça la rassure et je sais que pour elle c'est vraiment une étape difficile.
- Vous vous sentez prête ? demande le perruquier après avoir fini sa gorgé, reposé sa tasse et attrapé son ciseau.
Florence acquiesce d'un léger hochement de tête et se tourne vers le miroir sur pied qui a été placé face à elle pour effectuer cette nouvelle coupe de cheveux. Je reste à les observer sans dire un mot, je n'ai jamais connu ma femme les cheveux courts mais je sais d'avance que je l'aimerais tout autant.
Le coiffeur donne son premier coup de ciseaux et dans un silence pesant j'ai l'impression de voir tomber au ralenti cette mèche qui donne le coup d'envoi.
Florence l'observe à travers le miroir et toutes aussi silencieuses, ses larmes coulent à flots. Cette vision me crève le coeur et arrêtant le geste du coiffeur je me penche vers elle pour l'embrasser et pour tarir ses larmes.
- Je t'aime, lui chuchoté-je.
- Moi aussi, répond-elle dans un souffle.
J'essuie ses joues, me redresse et d'un signe de tête, donne mon accord pour reprendre cette fichue coupe.
- Vous pouvez travailler sans votre miroir ? je demande.
- Oui sans aucun problème.
- Bien ! Alors chérie arrête de te torturer. Tu verras le résultat final, lui dis-je en tournant ledit miroir.

Ne t'arrête pas de vivre *sous Contrat D'édition*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant