Chapitre 2

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Je n'ai qu'une envie : ouvrir en grand ma bouche et exprimer ma surprise à l'image du Cri d'Edward Munch, mais son sourire béat m'en empêche. Ça te ferait trop plaisir sale créature odieuse et impulsive. Nous retournons à nos places, toujours sous le regard de mes camarades. Visiblement, j'ai refait leur journée.

"Ne rêve pas trop, je compte boucler ça en deux heures maximum. S'il y a des choses qui te dépassent je te laisse mercredi pour faire tes recherches personnelles, et on s'y mettra pendant nos heures de creux." Il inspire profondément en préparant sa réplique, mais je ne lui laisse pas le temps de commencer. "Ce n'est pas discutable."

"Pas la peine de prendre tes grands airs. L'amabilité existe aussi. Sache que je n'ai pas non plus envie de bosser avec une fille comme toi mais-"

Alors là, il se fout de moi. Je sens une chaleur monter en moi. Et cette fois-ci, elle n'est pas douce et dévorante, mais plutôt brutale et impitoyable.

"Alors pourquoi exposer notre travail à tout le monde?" Je le coupe sans ménagement. Ce n'est qu'après coup que je me rends compte que j'ai peut-être haussé la voix. Je me recroqueville légèrement sur moi-même par habitude, dans l'espoir de disparaître mais ce n'est pas une technique réputée pour fonctionner.

"Melle Vindal, ce n'est pas le moment pour apprendre comment marche le système de communication. Si vous avez des choses à dire, faites en sorte que ça soit en rapport avec le cours. De manière utile." Dans ma tête, je lui tire la langue. Un "Oh j'aurais pas aimé" sort de la bouche d'un gars du fond. Encore une fois, je ne dis rien et regarde dans le vide.

À plusieurs reprises Julien a tenté de me parler durant l'heure, même durant la journée, mais mon passe-temps préféré est devenu de délibérément l'ignorer. C'est d'ailleurs ce qu'à peu près tout le monde fait avec moi : ignorer mon existence. Il lâcha l'affaire jusqu'à la dernière sonnerie qui annonçait la fin de nos cours. À mon éphémère tranquillité..

"Demain c'est mercredi. On n'a pas cours donc tu viens avec moi ce soir et on bosse vraiment. Je ne voudrais pas avoir à expliquer au prof comment, moi, le nouveau, ai rédigé entièrement un devoir commun." Son ton est acerbe. Sa menace m'horripile mais je n'ai pas d'autre choix, ce chien tient la laisse.

"Tu vis ou ?" Cédais-je. Ma non résistance lui confère un sentiment de victoire. Il ne manquait plus que ça : qu'il me face le sourire du gagnant.

"On passe d'abord chez toi, tu prends tes affaires et tu dors chez moi, mon père nous y conduira."

"Qu'est ce qui te fait penser que tu peux m'obliger à dormir chez toi ?"

"Le fait que je ne veux absolument pas passer 4h à rédiger la copie sachant qu'il est 17h00. Et qu'on devrait peut être sortir avant qu'ils nous bloquent à la grille." Il fait un tour de la cour avec son index m'indiquant qu'il n'y a plus personne hormis nous deux.

Ce qui est le plus irritant, c'est que je n'arrive pas à lui dire non. Alors par réflexe, pour reprendre le contrôle, je commence à avancer rapidement sans l'attendre. Il a un temps d'arrêt avant de comprendre qu'il doit me suivre. Je jette un coup d'oeil vers lui lorsqu'il se place a mes côtés. *Sa main recherche la mienne. Je peux sentir sa chaleur, qui pourtant me glace jusqu'à la nuque. Est-ce vraiment une vibration glacée, ou plutôt une chaleur intense? Il mord sa lèvre puis regarde loin devant nous, avant de me regarder à nouveau de ses yeux alertés* alertés ?

"Tu vas te prendre la grille, fait attention." Huh? Je m'arrête brusquement et regarde devant moi. En effet, il m'aurait fallu deux pas supplémentaires pour que je fasse un câlin désagréable avec la grille. Il rit, d'un rire franc, en voyant mon air absent à la limite de l'hébétement. "Dans quel monde vis-tu ?"

Illusory LifeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant