Chapitre 3

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Cette nuit fut tourmentée, mais j'ai visiblement réussi à m'endormir, puisque je me sens en pleine forme. J'essaie d'attraper mon téléphone sur la table de chevet pour regarder l'heure, en vain. Au lieu de paniquer, étrangement, je reste latente sur le matelas semi-confortable. Je suis en contemplation méditative sur un sujet ou un objet dont je cherche encore la nature. Peut-être est-ce mon manque de volonté et ma pantouflardise ?

Malheureusement, un moment de répit ne saurait rester éternel en présence de mon impatiente vessie. Je me lève rapidement et me dirige vers la salle de bain dans le couloir, sans même prêter attention à mon allure matinale. J'ouvre la porte et je m'introduis dans la salle de bain sans crier gare.

*Il ne me faut pas longtemps avant de me rendre compte que je ne suis pas seule dans la pièce, notamment lorsque mon regard tombe sur un Julien vêtu simplement d'une serviette maintenue autour de ses reins. Il me regarde, surpris, alors que je suis figée sur place*

Je tire la chasse d'eau et me lave les mains avant de descendre dans la pièce à vivre. A mi-chemin dans les escaliers, je me souviens que je n'ai toujours pas arrangé mon allure matinale. Tant pis pour ceux qui auront le privilège de me voir ainsi, il feront un cauchemar supplémentaire - ce qui au passage, n'est pas très préoccupant. Je n'entends aucun bruit ni à l'étage, ni dans la cuisine, et il n'y a aucun signe de vie dans le salon, excepté la mienne. Est-ce que ce flemmard est du genre à dormir jusqu'au milieu de l'après-midi ?

Mon ventre se met à gargouiller au moment où je me rappelle les espaces vides de son réfrigérateur. Que mange-t-il d'habitude ? Oh, au pire je m'en fiche, j'ai faim. Mon débat interne, sur le fait d'aller ou non le réveiller, prend rapidement fin lorsque mon ventre se contracte. Je remonte les escaliers rapidement et vais frapper à la porte de sa chambre, sans succès. Je réessaye et cette fois-ci j'entends bouger derrière la porte. Je recule un peu et la porte s'ouvre.

"Salut" me dit-il en se frottant les yeux. Je me contente d'hocher la tête. Etonné de ne rien entendre en retour, il finit par lever ses deux petits yeux endormis vers moi et lâche un rire étouffé. "Tu ne parles donc jamais ?"

"J'ai faim en fait."

Il sourit face à mon insolence et me dit en souriant "Alors demi-tour princesse !"

Je fronce les sourcils avant de me retourner et de prendre une n-ième fois le chemin des escaliers. Je le laisse passer devant, et nous descendons silencieusement jusqu'à la cuisine. Il ouvre un placard plein de biscuits et de céréales qu'il pose sur le plan de travail. Il sort des bols avant de me demander ce que je souhaitais manger. N'ayant pas l'habitude de manger des céréales, je décide de prendre de tout.

"Télé-canapé ?" me demande-t-il en pointant son salon du doigt. Sûrement dois-je comprendre qu'il veut qu'on y mange.

"Pour sûr !" Un petit sourire se forme sur mon visage et qui se reflète dans le sien à travers un grand sourire qui le rendrait presque stupide.

Je m'assois en tailleur sur le canapé alors qu'il s'assoit presque aussi droit qu'un piquet. Il fait un peu de zapping avant de tomber sur la rediffusion de The Big Bang Theory, série que j'apprécie, pour ne pas dire à quel point Sheldon est mon alter égo -mais en plus intelligent-.

Nous mangeons en silence cette fois ci. Pas de sourires, ni de moqueries. Juste le bruit de nos cuillères contre nos bols et notre mastication. Il m'a confié hier soir que son père devait travailler de nuit. Est-il souvent seul, livré à lui-même aussi ?

"Merci pour les céréales, j'ai bien aimé les pétales jaunes."

"Des corn flakes" me répond-il simplement tout en baillant si fort que sa mâchoire a presque atteint la table basse.

"Je vais m'en aller." dis-je en me levant. Il est visiblement en manque de sommeil par ma faute, et après la journée d'hier, j'ai vraiment besoin de m'isoler.

"Tu ne me dérange pas. Ce n'est juste pas mon heure 8h. En plus, nous devons encore finir la dissertation.. "

"Une autre fois." Il me faut absolument sortir d'ici, j'ai envie de marcher dans le froid et m'enfermer à quadruple tours chez moi.

Julien se contenta de lever les épaules puis commença à prendre nos bols tandis que j'allais assembler mes affaires à l'étage. Une fois tout bouclé, je redescends et le remercie pour hier soir. Il semble étonné et me demande mon numéro pour s'organiser une prochaine session de travail -au lycée cette fois-. Je m'en vais de chez lui avec un poids en moi, le genre de poids qu'on ressent lorsqu'on manque une opportunité.

Le trajet jusqu'à ma maison m'a fait ressasser en boucle ces dernières heures. Qui est ce Julien ? Comment se fait-il qu'il invite une inconnue chez lui sans que ça ne dérange personne ? Et pourquoi ai-je accepté sans réfléchir ? Toute cette frustration me désoriente, et j'étouffe. J'ai besoin de mon studio, j'ai besoin de me libérer, j'ai besoin de chanter jusqu'à ne plus respirer.

En rentrant, personne ne m'accueille, personne ne m'attends. J'envoie un SMS à ma mère pour la prévenir que je suis rentrée puis descends jusqu'à mon petit studio. Mon casque aux oreilles, je ferme les yeux : plus rien ne m'entoure. Je n'entends rien d'autre que ma respiration et mon cur qui semble vouloir exploser dans ma poitrine.

Une respiration et ma voix s'élève. Pas d'échauffement, juste une urgence, un besoin de crier. Les premiers mots qui me viennent en tête sont ceux de Wye Oak - Civilian :

*I am nothing without pretend, I know my thoughts - can't live with them. I am nothing without a man, I know my faults - but I can't hide them. [] I don't need another friend, when most of them I can barely keep up with. I'm perfeclty able to hold my own hand, but I still can't kiss my own neck*

Misérablement, je comprends ce qui m'arrive. J'ai fait un pas vers l'inconnu, je me suis dévoilée et ça m'a fait du bien. Ce gars m'a permis de vivre une réalité que mes rêves me suggèrent. Si cela n'a duré que quelques heures, ces minutes vécues me terrifient car jamais je n'ai ressentis cette liberté auprès de quelqu'un.

Alors je chante jusqu'à ne plus avoir de voix, jusqu'à apercevoir mon père en face de moi, la guitare à la main, un sourire flanqué jusqu'aux oreilles, de l'autre côté de la glace du studio insonorisé.

Et pour la première fois de la journée, je suis heureuse et soulagée.

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 12 ⏰

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