Partie 1

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Le front du petit homme assis en face de moi était couvert de sueur. Ses fins cheveux rabattus en avant pour dissimuler un début de calvitie, collaient à son crâne en dépit de l'air frais que soufflait une bouche d'aération toute proche. Il tenait fermement son attaché-case sur ses genoux sans regarder un seul des hommes debout autour de la table, et ne cessait de jeter des coups d'œil furtifs vers la porte, comme s'il n'avait qu'une envie; décamper et fuir la tension qui montait lentement dans la pièce sombre.

J'étais cent pour cent sur la même longueur d'onde que lui.

- On n'a pas toute la journée, marmonna un homme brun à l'accent écossais, adossé au mur du fond.

Le blond qui se tenait à côté de lui le réduisait au silence en le fixant d'un regard sinistre. Les mains qui s'abattirent soudain sur mes épaules me firent tressaillir. Je serrai les poings sous la table, tandis qu'une voix joyeuse s'élevait dans mon dos.

- Bon! Maintenant que nous sommes tous réunis, le spectacle peut commencer. Qui veut se lancer?

Personne ne semblait partager cet enthousiasme. Le type face à moi avait accueilli chaque mot avec un sursaut. Il avait l'air d'avoir envie de s'enfoncer dans le sol et de disparaître.

Je déglutis nerveusement tandis que le silence retombait.

Un costaud, adossé au mur, finit par s'avancer. Aussitôt, en un geste inconscient de soumission, ses acolytes se redressèrent.

- L'heure n'est pas à vos petits jeux, Loki, grommela-t-il avec un fort accent russe qui donnait du poids à ses paroles.

- Et c'est quand la bonne heure, Vassili?

La désinvolture de la réponse fit grincer quelques dents. Vassili poussa un grognement avant de se tourner vers le petit homme craintif.

- Formulez votre requête, docteur Marchand.

L'interpellé frémit tout en fixant le Russe d'un air ahuri. Les paumes se crispèrent sur mes épaules, attirant mon attention.

- A vous de jouer.

Pardon? Je pivotai à demi vers celui qui se tenait derrière moi.

- A quoi? demandai-je.

Plusieurs paires d'yeux me fixèrent, et je me raidis.

- Traduisez, ma chère. Le Dr Marchand est français, précisa le trafiquant d'armes dans mon dos.

Je le gratifiai d'un regard peu amène. Etant née au Canada, je parlais en effet couramment le français, mais je n'appréciais pas qu'on me donne des ordres et, en d'autres circonstances, je ne me serais pas gênée pour répondre vertement à Lucas Hamilton. Il m'adressa un sourire placide, un sourcil arqué. Puis son regard balaya la pièce avant de revenir sur moi - comme si j'avais besoin qu'on me rappelle la situation!

Je ne savais même pas où je me trouvais ni pour quelle raison. C'était la première fois qu'on m'adressait la parole depuis mon arrivée. On m'avait offert une chaise, cependant que les mâles présents s'étudiaient sans aménité, tâchant visiblement de jauger lequel avait la plus grosse... passons.

Me retournant vers le Français, je traduisis d'une voix plate, la bouche pincée.

Seule la douleur de mes ongles plantés dans ma paume me permettait de garder mon calme. Le Dr Marchand me dévisagea avec une sorte de surprise, s'humecta les lèvres puis les bougea sans rien dire pendant un instant, comme s'il rassemblait son courage.

- J'ai besoin d'aide... murmura-t-il ensuite. Pour faire sortir en douce des médicaments.

- Ils vont exiger plus de détails, docteur, répliquai-je. Où comptez-vous expédier la marchandise?

tout ce qu'il voudra  Naufragée     l'intégraleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant