Partie 3

2.7K 68 10
                                    


Quand je me réveillai, la cabine était plongée dans une obscurité que seule rompait la lueur d'une veilleuse. Le matelas tanguait et roulait, et une brusque nausée me rappela que j'étais à bord d'un navire. Je tendis le bras sur le côté et fus soulagée de constater que j'étais seule.

Je repoussai les draps mais m'interrompis quand un faible ronflement me parvint depuis le centre de la cabine. Rampant sans bruit jusqu'au pied du lit, je découvris Lucas, profondément endormi sur le sol. Étendu en croix sur le ventre, il prenait un maximum de place. Ses couvertures tire-bouchonnaient autour de son corps mince. D'après ce que j'apercevais... Je roulai sur mon lit en rougissant. Pas question de vérifier s'il était aussi nu qu'il en avait l'air.

Je patientai un bon moment avant de me lever aussi discrètement que possible. J'attrapai le paquet de vêtements et contournai le dormeur sur la pointe des pieds. Le tapis mince était frais, et les craquements provoqués par mes pas se fondaient dans les bruits de fond du bateau.

Ce fut avec un gros soupir de soulagement que je réussis à m'introduire dans la salle d'eau.

Après avoir refermé derrière moi, je me débarbouillai le visage, tirai mes cheveux indociles en queue-de-cheval. Jetant un rapide coup d'œil dans la cabine, je fonçai sans un bruit vers la porte, enfilai mes chaussures et un caban, puis me faufilai dehors.

Il n'y avait personne en vue et j'en fus bien contente. Des tréfonds de la coque me parvint le son de quintes de toux, plus près de moi j'entendis des voix assez fortes. D'une démarche hésitante, je me dirigeai vers elles. La dernière porte du couloir était ouverte. Lorsque j'y passai la tête, les conversations s'arrêtèrent net. Tous les qui se trouvaient là me dévisageaient.

Le réfectoire. C'est tout ce que mon cerveau put formuler. Pour le reste, je me pétrifiai. J'essayai de m'exprimer - en vain. Aussi, je me bornai à faire signe de la main. Cela suffit à rompre le charme. Tous se détournèrent et reprirent le repas que mon apparition avait interrompu. Ma pauvre fille, me morigénai-je, tu n'es qu'une gourde.

Je choisis de monter vers le pont supérieur plutôt que de m'enfoncer dans les entrailles du navire. Je dus pousser fort sur une porte pour émerger à l'extérieur. Comme des nuages gris cachaient le soleil, je ne sus définir quelle heure il était. De violentes bourrasques faisaient rouler et tanguer le bateau. Les embruns me couvrirent rapidement d'une fine pellicule d'humidité. Serrant les pans de mon caban, je m'agrippai au bastingage tout en observant l'agitation de l'océan. Par bonheur, j'avais avalé un nouveau cachet avant de quitter ma cabine. Je me félicitai d'avoir pris cette précaution, car mon estomac n'était guère enchanté par les mouvements du navire. A part ça, j'étais ravie de l'expérience.

J'étais la seule à être assez idiote pour me rendre sur le pont aussi tôt le matin. Même si cela signifiait que j'avais les lieux pour moi, je comprenais pourquoi les autres préféraient ne pas sortir - le froid était pénétrant et réussissait même à s'infiltrer sous l'épaisse laine du caban. En rasant les cloisons, je rejoignis une porte que j'avais remarquée au bout du pont. Je tirai le battant et fus aussitôt assaillie par une bouffée d'air chaud qui me fit prendre conscience que j'avais le bout du nez gelé. Je me dépêchai d'entrer et grimpai l'escalier d'un pas hésitant, l'œil aux aguets.

L'atmosphère enfumée et l'odeur de tabac m'indiquèrent que la passerelle supérieure était occupée. Je distinguai d'ailleurs un murmure. Glissant la tête par l'écoutille pratiquée au sommet des marches, j'aperçus deux hommes installés sur des chaises vissées au sol. Ils regardaient par les fenêtres qui surmontaient le tableau de bord. J'identifiai le capitaine, entrevu la veille, mais pas son voisin. Ils donnaient tous les deux la même impression d'être de vieux loups de mer burinés et bourrus. Mais rien dans leur attitude ne dégageait de violence ou n'exprimait de menace, contrairement à ce que j'avais pressenti chez les hommes attablés en bas.

tout ce qu'il voudra  Naufragée     l'intégraleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant