Partie 2

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Une alarme stridente me tira d'un sommeil lourd mais agité. Je sursautai, rejetai les draps et tâtonnai vers le bord du lit. Surprise que le sommier soit si haut, je trébuchai en me levant. Je me ruai vers la porte et l'ouvris à la volée. Une odeur de fumée assaillit mes narines. Je dégringolai l'escalier, sans savoir ce que j'allais trouver.

Depuis la cuisine, Lucas me regarda débouler. Affublé de lunettes de soleil, il m'adressa un sourire radieux.

- Bonjour, beauté. Je suis en train de préparer le petit déjeuner. Ça vous tente?

Il tenait une fourchette dans une main et un grille-pain chromé débranché était coincé sous son bras. L'appareil était sans doute à l'origine du déclenchement de l'alarme incendie. il le reposa sur le plan de travail et se dirigea vers le réfrigérateur.

- Des œufs?

Je le contemplai, hébétée, encore assommée par ce réveil brutal. Tout en s'agitant, il sifflotait un air entraînant. Je secouai la tête avant de tourner mon regard en direction du salon. Ce que je découvris me remplit de stupeur.

- Que c'est-il passé? m'exclamai-je en descendant les dernières marches.

- Oh, ça? J'ai juste redécoré la pièce.

On aurait dit qu'un ouragan avait dévasté les lieux au cours de la nuit. Un fauteuil était renversé, plusieurs tableaux avaient été décrochés des murs, la table basse en bois était cul par-dessus tête. Pour autant, rien ne me semblait avoir été cassé. C'était le bazar, mais pas irréparable. Perplexe, j'évitai le salon et me perchai sur un des tabourets de la cuisine.

Une fois installée devant l'îlot central, la surface en granit me séparant prudemment de mon joyeux ravisseur, je tirai le grille-pain à moi et l'inspectai. Les sourcils froncés, je m'emparai d'une fourchette et un extirpai les ultimes vestiges d'une tranche de pain entièrement carbonisée.

- La cuisine n'est pas votre fort, hein? fis-je remarquer d'une voix moqueuse.

- N'importe quoi, répliqua-t-il. Je ne loupe aucune émission sur le sujet. Ce n'est pas si compliqué.

Après avoir allumé un brûleur de la cuisinière au maximum, il y posa une poêle dans laquelle il entreprit de casser des œufs. Je l'observai, un brin interloquée quand je constatai qu'il n'y avait pas mis de beurre ou d'huile.

- C'est ça, soupirai-je, résignée à ce que l'alarme se remette à striduler.

Je m'accoudai au comptoir le temps d'émerger et de reprendre mes esprits.

- Et maintenant? demandai-je.

- Pardon?

- Je peux rentre chez moi?

Il avait les yeux fixés sur la poêle, bien qu'il ne s'occupe pas vraiment des œufs, et je ne pus déchiffrer son expression.

- Ce n'est pas aussi simple, répondit-il au bout d'un moment.

- Je vous en prie, suppliai-je, mettant brièvement de côté mon orgueil. Après tout, je vous ai servi de traductrice dans cette espèce de trou à rat répugnant. Si ça se trouve, je suis désormais complice d'une activité criminelle.

Cette seule perspective fit trembloter mon menton.

- Je vous en supplie, Lucas, insistai-je. Je ne tiens pas à finir comme Anya.

Là! C'était dit. Avant de m'assoupir, la veille au soir, l'idée m'avait traversé l'esprit que la mort de la jeune femme - sa vie aussi, peut-être - était un sujet sensible chez le marchand d'armes. Sa réaction me prouva que j'avais raison: les jointures de ses phalanges blanchirent autour de la spatule qu'il tenait à la main.

tout ce qu'il voudra  Naufragée     l'intégraleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant