Partie 6

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J'aurais volontiers cédé à la tentation de rester calfeutrée jusqu'à la fin du voyage si le capitaine Matthews n'avait pas frappé à ma porte le lendemain matin.

- Nous venons d'entrer dans les eaux caribéennes, m'annonça-t-il à travers le battant. je me suis dit que vous seriez peut-être tentée par un petit déjeuner avec une vue splendide.

J'avais très envie de ne pas répondre et de rester à bouder dans ma cellule sans parler à quiconque. Mais je n'avais encore jamais été dans cette partie du monde - ma famille n'était jamais allée plus au sud que la Caroline durant les vacances. Je m'habillai sans un mot, consciente que je me montrais fort impolie à l'égard du capitaine. Pourtant, lorsque j'ouvris la porte, il était toujours planté sur la coursive.

Un sifflement lui échappa lorsqu'il découvrit mes phalanges bandées.

- J'y jetterai un coup d'œil quand nous serons là-haut, commenta-t-il. La rumeur prétend que vous avez essayé de démolir le frère le plus costaud. Apparemment, vous y êtes pas allée de main morte.

Je ne relevai pas, mais un petit sourire traître souleva la commissure de mes lèvres.

- Il le méritait.

- J'en suis certain. Venez, Frank a préparé un ananas. C'est une tradition que nous respectons toujours sur ce trajet.

Je gagnai la salle de commandement sur ses talons. Le soleil qui chauffait ma peau me détendit, et je me rendis compte que me calfeutrer dans ma chambre avait entretenu ma mauvaise humeur. Mais je me sentis mieux dès que je fus sous le ciel radieux des tropiques. Si le bateau continuait de tanguer, la houle était moins forte que plus au nord. Rassérénée, j'escaladai les échelons et rejoignis Frank et Lucas qui étaient déjà attablés.

- Laissez-moi vous mettre un peu de glace, petite, décréta Matthews.

Il entreprit d'en remplir un sac en plastique. Lucas serra les mâchoires en découvrant ma main boursouflée. Il fut aussitôt à mon côté et s'empara délicatement de mon bras. Je m'écartai de lui, car je nourrissais des sentiments plutôt hostiles à l'encontre des Hamilton en ce moment. Il insista et, fort heureusement, se contenta d'examiner de près sans toucher mes doigts encore douloureux. La douleur s'était accrue au cours de la nuit, mais j'avais décidé de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Un antalgique et une serviette humide autour de la main m'avaient permis de dormir.

J'ignorai à quelle réaction je m'étais attendue de la part de Lucas, mais certainement pas au sourire qu'il afficha.

- Sacrée nana!

Un rire surpris m'échappa. Je m'assis sur l'une des chaises. Bien que, ce matin-là, Frank soit à la barre, cela ne l'empêcha pas d'engloutir la majeur partie de l'ananas. Tandis qu'il se disputait avec le capitaine pour décider comment répartir le fruit entre nous quatre, j'admirai le paysage. Les fenêtres étaient ouvertes, laissant passer un courant d'air tiède. L'océan s'étendait à perte de vue, mais il était teinté d'un vert pâle nouveau. Lucas se pencha vers moi.

- Si vous trouvez ça joli, murmura-t-il, attendez un peu de voir quand nous approcherons des îles.

Je le repoussai de ma main valide, et il se rassit avec un immense sourire. J'avais beau lui en vouloir de m'avoir entraînée dans ce voyage, l'ambiance était trop joyeuse pour la gâcher. Matthews finit par me tendre le sac de glace.

Une fois le petit déjeuner terminé, Frank brandit un jeu de cartes.

- Bon, qui est tenté par une petite partie?

Nous accostâmes tard dans l'après-midi, bien que la terre ait été en vue depuis déjà longtemps.

- De quelle île s'agit-il? demandai-je au capitaine.

tout ce qu'il voudra  Naufragée     l'intégraleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant