4. Une découverte plus qu'énorme.

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Lacey et Charlotte n'avaient jamais rencontré les parents de l'autre, et pour cause. Lacey avait quitté le domicile familial à quatorze ans, sans jamais revenir, abandonnant sa petite sœur dont elle refusait de prononcer le nom, et ses parents, qu'elle détestait au plus haut point. Ils n'avaient jamais accepté son homosexualité, tout comme la famille de Charlotte. Elle, par contre, avait gardé contact avec sa grande sœur, qui était là aux moments critiques. Toutes les deux venaient de Marseille, de base, mais avaient déménagées à Paris à quelques années d'intervalle.

Elles avaient travaillé très jeunes, et s'étaient rencontrées dans un de ces nombreux petits boulots qu'elles prenaient pour payer leur loyer et leurs impôts. Elles avaient beaucoup discuté, et s'étaient appréciées plus que d'ordinaire très vite. Charlotte devait pourtant être très organisée pour mener de front le travail et le lycée, âgée de seulement quinze ans. Ses parents l'avaient jetées dans un appartement miteux qu'ils avaient payé une misère à l'époque. Mais les taxes et les impôts lui demandaient un travail de folie. Et elle avait vraiment du mal à gérer tout à la fois.

Lacey était arrivée à ce moment là et l'avait sauvée de la misère dans laquelle elle se fourrait chaque jour un peu plus. Elle l'avait prise sous son aile, et elles avaient finies par sortir ensemble, après deux ou trois mois de grande amitié. Elles se soutenaient chacune l'une l'autre pour réussir à garder la tête hors de l'eau. Finalement, Lacey avait été embauchée dans une grosse boite à fric, où elle était secrétaire. Boulot pas forcément gratifiant, mais il lui permettait d'offrir à Charlotte une vie un peu meilleure. Elle pouvait aller au lycée et arrêter d'enchaîner les petits boulots. Ça les avait à plusieurs reprises sauvées.

Finalement, une langue de vipère du lycée où était scolarisée Charlotte les avait surprises dans un centre commercial en train de s'embrasser. Elle s'était empressée de prendre une photo et de la faire circuler sur les réseaux sociaux, en ne se gênant pas pour les lyncher en public, avec une petite légende charmante.

" Charlotte et une autre pute. Pédophilie les gars, c'est immonde. C'est une sale lesbienne. Beurk ! L'approchez pas, c'est du poison cette fille. "

Charlotte était tombé sur ce message, partagé des milliers de fois sur la toile. Au lycée, elle était moquée, frappée, ignorée, et même ses professeurs ne voulaient pas la croire, malgré les coups et les insultes fusant sur Facebook et autres réseaux sociaux.

Charlotte ne se nourrissait presque plus, entaillait sa peau avec des lames et pleurait à longueur de temps, sous le regard impuissant de Lacey. Jusqu'au jour où la fille qui avait propagé la photo avait été retrouvée blessée. Lacey s'était chargée d'elle, et Charlotte avait choisi d'être déscolarisée.

C'était le passé douloureux de ce couple qui était, en écho à ce que tout le monde pensait, indestructible. Mais le temps avait passé, deux ans s'étaient écoulés et les rumeurs avait peu à peu détruit la flamme qui les animait. Lacey avait choisi d'écouter les mauvaises personnes et l'avait laissée seule, avec ses peurs et ses antécédents dépressifs.

Mais Charlotte savait que quelque chose clochait. Cette rencontre avec cette fille qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à Lacey... ce n'était pas anodin.

Elise fit la bise à sa mère et à la rouquine. Ses yeux étaient gonflés, signe qu'elle avait pleuré. Sans un mot, Charlotte s'éclipsa et jeta un œil curieux à la chambre d'amis. Elle repéra une photo dans une étagère. Non, c'était impossible... elle devait rêver.

Elle prit le cadre dans ses mains et le regarda longtemps, désemparée par ce qu'elle venait de voir. Elle effleura la photo du bout des doigts et une larme coula sur sa joue. Une de ces larmes qu'on ne cherche même pas à contrôler, sachant pertinemment que c'est un combat perdu d'avance.

C'était impossible, et pourtant... le hasard ne devait pas y être pour grand chose. Il était impossible que ce soit un coup du destin, ou de quelque chose qui s'en rapproche. Ça ne pouvait pas être vrai... elle comprit en regardant derrière le cadre que le nom de Lacey avait été banni de la maison, comme le nom d'un défunt qui nous manque un peu trop et dont l'absence laisse un vide qui ne se comblera jamais.

Elle reposa le cadre rapidement, comme si il lui brûlait les mains. C'en était trop. Elle ferma les yeux et se massa les tempes, comme pour évacuer tout ce qu'elle venait de voir, d'intégrer, et évacuer surtout cette pression qui naissait au creux de son corps. Son esprit s'emmêlait et ses pensées refusaient de se remettre dans l'ordre qui semblait logique.

Mais plus rien n'était logique désormais. Ça ne pouvait clairement pas être logique. La vie était définitivement une belle salope. Elle lui faisait voir la vérité en face, comme si la claque qu'elle s'était prise quelques jours plus tôt n'avait pas suffit. Non, il fallait en rajouter, encore et encore, jusqu'à la faire craquer.

Sans un mot, elle prit son sac à main, une veste, noua ses lacets et partit sans un mot pour les trois habitants de cette maison dont l'air était devenu irrespirable pour la jeune rousse.

Elle déambula longtemps dans les rues faiblement éclairées par un soleil un peu capricieux. Elle se remémora tout. L'ambiance qui régnait à l'appartement depuis quelques semaines, les tensions, les sautes d'humeurs de Lacey, son odeur, ses cheveux qui chatouillaient sa peau... absolument tout.

Soudain, son sang ne fit qu'un tour, et elle sentit comme un coup de poignard au niveau de son estomac. Elle se plia en deux et gémit de douleur. Elle alla se cacher à l'ombre d'une petite ruelle et vomit tout ce qu'elle avait dans l'estomac.

Alors tout était vrai ? Elle devait être sûre, mais au fond, avait-elle réellement besoin de demander des explications auprès d'Elise ?

Elle se doutait.

Elle savait.

C'était dur à accepter, mais elle savait que tout était vrai. Elle devrait s'y faire. Rien ne la détacherait jamais de Lacey. Même des centaines de kilomètres et des tonnes de tentatives pour oublier son visage.

Une simple photo lui prouvait que c'était impossible.

Désormais tout était clair. Toutes les pièces du puzzle s'assemblaient et le sol s'ouvrit sous les pieds de Charlotte, qui dut s'appuyer contre un mur pour rester debout.

Elise était la petite sœur cachée de Lacey.


I'm feeling lonely...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant