Chapitre 3

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Le retour au point de départ. La théorie du cycle. On a toujours prétendu que le temps ne pouvait pas être rebobiné, que les choses arrivaient une fois et une seule, et qu'il y aurait toujours un détail pour vous signaler que oui, des années avaient passées, que vous aviez bien vieilli, et que la mort s'était bien rapprochée.
Mais il y avait des soirées comme celle-ci où, quand le soleil se couchait sur Seattle, on avait l'impression d'être retourné dans le passé, l'illusion que tout ce qui s'était déroulé depuis qu'on était parti, depuis qu'on avait fait ce choix... n'avaient été qu'un long rêve, un coma idyllique.
Quand est-ce que c'est parti en couilles ?
Kurt retournait encore et encore la question dans sa tête, évaluait les différents facteurs, réfléchissait. Mais à chaque fois qu'il pensait avoir trouvé, un souvenir antérieur venait lui rappeler que, même avant, les choses ne tournaient pas rond.
C'est toi qui cloche, mon Vieux.
Il devait y avoir eu une erreur lors de sa naissance, ses parents devaient avoir raté une étape.
Toute sa vie, il avait eu l'impression que le monde était illogique, et immoral. Les humains encore plus. Et lui plus que tous. Quand il devait imaginer l'univers, il le voyait comme ces vieux génériques sans queue ni tête, et les psychologues prétendaient que c'était lié à ses tendances toxicomanes.
La drogue, vous y croyez vraiment ? La drogue provoque le dépression ?
Ou est-ce que la dépression provoque la drogue ?
Pourtant ce soir, Kurt Cobain était serein. Le monde si louche soit-il, lui semblait beau, attrayant. Le coucher de soleil sur Seattle, tous ces gens qui rentraient chez eux dans ces voitures qui tuaient la planète. Même le Space Needle, cet affreuse tour dont il s'était toujours demandé quelle était sa raison d'être, avait décidé d'être un peu moins dégueulasse aujourd'hui.
Kurt resta jusqu'à ce que la nuit tombe, et observa même après les lumières qui s'allumaient dans les maisons, les appartements. Fallait-il toujours que l'on soit sur le point de perdre quelque chose pour se rendre compte de sa valeur ?
Kurt se retourna vers le fusil qui se trouvait sur la banquette arrière, et sourit imperceptiblement.

Les fenêtres de la maison que l'on avait sobrement baptisée, d'un commun accord, la maison de Seattle, laissaient voir la lumière à l'intérieur. Elle avait ainsi un air douillet, perdu dans la végétation. Une maison du nord dans une ville du nord de l'hémisphère nord.
Il s'était mis à pleuvoir, Kurt avait entendu la pluie avant de sortir de la voiture. Il avait d'abord glissé le fusil sous les sièges, histoire de ne pas effrayer le baby-sitter.
Le rockeur traversa l'allée et monta jusqu'à la porte d'entrée, qu'il ouvrit à l'aide d'une petite clé qu'il avait sorti de sa poche de jean. Le hall était désert, l'éclairage venait de la cuisine. Aucun bruit n'en parvenait. Déserte ? Non. Une petite bouille attendait, assise à la table sur une chaise haute, silencieuse, comme si elle attendait de voir quel intru pénétrait dans sa maison avant de se manifester.
Frances le reconnut immédiatement, et esquissa un grand sourire. Kurt se dirigea vers sa fille pour la prendre dans ses bras, et souriant commenta :
- Hey, Little Bean.
La petite fille se mit à rire tandis que des pas précipités se faisaient entendre dans l'escalier. Le baby-sitter apparut dans l'encadrement de la porte, l'air aussi stupéfait qu'embarrassé. Il se confondit aussitôt en excuses qui n'avaient pas lieu d'être.
- Mr Cobain... Je vous assure que je la surveillais...
Kurt adressa à sa progéniture un sourire complice.
- Votre femme, Mme Love, elle a appelé. Elle demandait si vous étiez rentré.
Et, puisque le chanteur ne semblait pas décidé à répondre, il ajouta :
- Vous voulez que je la rappelle ou... ?
Kurt émergea et se détourna du bébé.
- Je vais le faire. Emmenez Frances auprès de ma femme, à Beverly Hills. Prenez l'avion. Essayez de ne pas trop ébruiter, j'en ai raz le cul des médias.
Le baby-sitter ouvrit la bouche, sûrement pour remarquer qu'il était déconseillé d'utiliser ce genre de langage devant un enfant de deux ans, mais s'abstint.
Kurt embrassa sa fille sur le front.
- Au revoir, Little Bean.
Et sur ce la tendit au jeune homme. Vint minutes plus tard, lui et Frances avaient quitté la maison, et Kurt seul dans la villa, se saisit du téléphone. Une sonnerie, seulement, avant que la voix - sa voix, si connue - ne décroche.
- Allô ?
Elle devait être vachement sur les nerfs.
- C'est moi, dit-il.
Long silence au bout du fil.
- Et c'est tout ? C'est tout ce que t'as à me dire ?
- Je suis à Seattle.
- Super. (L'amertume et le cynisme dominaient sa voix) J'ai appelé tous les centres de désintox, tous les commissariats de la côte ouest, j'ai même publié un avis de recherche...
- Tu as publié un avis de recherche ?
- Oui ! Disant que tu étais suicidaire, et que tu te promenais avec un fusil ! Mens pas pour le fusil, j'ai parlé à Dylan.
Elle ne lui demandait pas ce qu'il comptait en faire. Peut-être le savait-elle déjà, sans oser y croire.
    - Tu savais que j'étais ici ?
    - Des personnes t'ont aperçu.
    - Le baby-sitter ?
    - Non. Il m'a juste téléphoné pour me dire qu'il devait me rejoindre.
Kurt ne put s'empêcher de rire.
    - Il est sympa, ce garçon.
    - Dès demain, il est viré.
    - Courtney...
    - Ne me sors pas un "Courtney". Tu m'avais fait des promesses, Kurt.
Le rockeur soupira.
    - Je sais.
    - Tu disais que ça allait s'arranger, que tu ferais ce qu'il fallait, tu m'as fait des milliers de promesses.
Il ferma les yeux, hésita à raccrocher. Assume pour une fois, mérite un peu la femme de ta vie.
Les derniers mots le transpercèrent comme des aiguilles.
    - Au final, tu n'as su en tenir aucune.
Allez Vieux, c'est bientôt fini.
    - Je suis désolé, Courtney.
    - Non, ne me dis pas que tu es désolé.
    - Je t'aime, alors.
Il y eut un nouveau silence au bout du film, puis Courtney répondit enfin :
    - Je t'aime aussi.
Kurt raccrocha le combiné. Cette fois, c'était fait.

Nirvana ou le ParadisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant