L'enlèvement (La Disparition)

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Ce jour-là, le temps était clair et rien ne laissait présager des malheurs qui allaient nous arriver. Bien sûr, tout ceci avait commencé plusieurs jours avant ce jour-là, mais ce ne fut que ce jour-là qu'en dévoilant l'affaire, la police marqua par le même coup le jour où tout commença.

La cours du lycée Jean Moulin, le seul lycée du Mouron - ce qui rendait le village d'autant plus fier, bruissait de ses habituelles conversations. On voyait çà et là, les groupes de quelques étudiants bavarder entre eux qui, sous l'ombrage rafraîchissant du marronnier, qui sur le banc à la peinture blanche écaillée, accolés au mur peint à la chaux qui déterminait l'enceinte du bâtiment, qui encore, tout simplement debouts, au milieu, leurs sacs à leurs pieds et leurs portables dans la main.

Enfin, la cloche sonna. Il était huit heures. Samantha Belse, élève de Terminale ES, attrapa d'un geste nonchalant ce que sa mère appelait communément son sac de cours, et elle son débarras personnel, comprenant tout aussi bien son livre d'éco que son matériel de beauté, et se dirigea vers la porte aux gonds grinçants, mais miraculeusement toujours aussi fonctionnels. À l'intérieur, elle patienta avec agacement que la bande des secondes se fût ruée dans son couloir de gauche pour emprunter l'escalier en face d'elle qui la conduirait aux classes de son niveau.

Le lycée Jean Moulin - ou, comme on l'appelait tous, le lycée J-M, avait la forme d'un U inversé dont l'imposante grille de fer blanc qui en constituait l'entrée, aidait à le transformer en O à base aplatie - et accessoirement à empêcher certaines personnes de profiter du cahot fourmillant de la récréation du midi pour s'échapper vers une liberté dûment brimée. Au rez-de-chaussée, donc, on trouvait, à gauche le couloir conduisant aux classes de 2ndes générales et professionnelles - à comprendre : où l'on apprenait le métier de ses parents qui eux-mêmes l'avaient appris des leurs, et à droite, celui conduisant aux classes de 1ères S (il n'y en avait qu'une car les scientifiques, toujours à la recherche d'un fameux gaz, n'étaient pas très bien vus dans la région), L, ES et pro. En entrant, on tombait directement sur le bureau du concierge, une vieille bonne femme qui faisait le ménage tous les dimanches, que bordaient les deux escaliers conduisant à l'étage du dessus. Conventionnellement, on empruntait celui de gauche pour monter et celui de droite pour descendre. De petits malins s'amusaient tous les jours à prendre celui de gauche pour descendre et celui de droite pour monter, mais ils le regrettaient assez vite, généralement en intercours, lorsque des 2ndes , troupeaux assez compacts, montaient sagement par celui de gauche pour se rendre au labo - il n'y en avait qu'un et il se situait au premier étage, alors que lesdits petits malins se rendaient dans la cours pour l'EPS, si bien qu'avant le milieu de l'année, les rebelles étaient matés.

C'est donc le couloir de gauche - celui utilisé pour monter, que Samantha emprunta, l'œil rivé sur la vitre noire de son portable pour vérifier qu'aucune fantaisie n'eût pris l'une de ses mèches parfaitement blondes qu'elle passait tant de temps le matin à domestiquer proprement. Parvenue à l'étage supérieur, elle suivit la masse et se dirigea vers le couloir de gauche - pour elle, donc celui de droite si on regardait le plan - accordant à la porte qui bloquait l'autre couloir son regard blasé. Le seul lycée du Mouron, disais-je, mais cela n'avait pas suffit pour remplir convenablement les deux étages en entier. Ce qui, au demeurant, ne posait pas beaucoup de problèmes, car pour la direction, cela faisait déjà un cinquième du bâtiment en moins à gérer - et tout autant pour la bonne vieille concierge.

Un par un - les portes n'étant pas très larges, les élèves gagnèrent leurs classes respectives puis de là, leurs tables attitrées. Ces tables avaient ceci de singulier qu'elles étaient attitrées manuellement à chaque début d'année et souvent - en dépit des conventions, doublement attitrées, un cœur habilement ciselé au compas, reliant les deux supposés propriétaires. Mais les romances des jeunes gens sont comme les libellules : aussi ravageantes qu'éphémères et il n'était pas rare de voir le doux prénom jadis porté au Panthéon, aujourd'hui passé à la censure, le martèlement sauvage de l'amoureux transis le rendant illisible. Celui de Samantha devait avoir appartenu à un descendant de Dom Juan et les quatre noms de filles avaient été rayés, l'un après l'autre, très soigneusement. Quant à l'adolescente, dont la période appareil dentaire avait réduit à néant ses chances d'être un jour remarquée par les plus beaux garçons du lycée, elle avait décidé, quelques trois jours après la rentrée, de s'attitrer sa place par le biais de deux noms ; Sam & Dodo BFF, car, c'était évident, les meilleures amies le sont toujours pour la vie. La jeune fille caressa du doigt l'inscription, tandis que leur prof de maths, une femme mûre quelque peu rachitique, leur intimait de bien vouloir s'asseoir et rapidement s'il vous plaît parce qu'ils n'arrêtaient pas de perdre du temps et que si cela continuait, jamais ils ne finiraient le programme (ce qui, il fallait le reconnaître, était problématique pour eux qui allaient passer leur bac dans quelques mois). Bande de mous du cerveau, va.

Les Chroniques du Mouron (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant