Le Choix des Puits (Le Pays Desséché)

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L'homme les regarda partir, non sans une certaine tristesse dans son regard. Il sentait poindre en lui l'épine de la culpabilité. Venait-il de les envoyer à la mort ? Il l'avait dit lui-même : il ne s'occupait pas des humains. Mais il ne les tuait pas non plus. Le Mal Cendré était une abomination qu'il se considérait comme seul capable d'anéantir. Même Rebecca ne la suivrait pas jusqu'au bout. Alors pourquoi ces filles... ? Son pied caressa le sol et une fumée vint s'enrouler autour, tel un serpent venimeux – et c'était bien cela qu'était cette maladie. Un venin. Qui allait tuer tout ce qui était vivant sur cette terre, du moins, dans la vallée du Mouron. Il était certain que ça n'avait pas assez de pouvoir pour aller plus loin. En revanche, il était à craindre que cela serait suffisant pour la personne qui l'avait lancée. Ses yeux gris-bleus se perdirent une dernière fois dans la direction où il les avait envoyées. Une pète-soie et une négresse. L'une était la maitresse de l'autre, mais elles devaient avoir le même âge – seize ans ou dans ces environs. Moins que Rebecca, cependant, qui venait d'atteindre sa majorité. Elles avaient débarqué dans son investigation et s'étaient naturellement imposées pour l'aider comme si c'était le destin lui-même qui les lui avait apportées. La métisse semblait débrouillarde, peut-être trop timide par rapport à l'autorité. La jeune noble puait le mépris des bourgeois, mais ce n'était que façade, il l'avait vu tout de suite.

- Je suis un vieil imbécile, lâcha-t-il à voix haute.

Allons, pourquoi s'en cacher ? Ces deux demoiselles semblaient être ce que Rebecca n'avait jamais été. Les assistantes dont il aurait eu besoin. Quelque part, il leur avait donné cette quête parce qu'il voulait savoir jusqu'où elles seraient capables d'aller, pour révéler leur plein potentiel. Mais... Le marrais était la mort même. Arriveraient-elles vraiment à le traverser ? Et arrivées de l'autre côté, que feraient-elles ? Il ne leur avait même pas dit où se trouvait Noir-Blanc, ni même donné un lieu de rendez-vous. En fait, il était très peu probable qu'ils se rencontrassent à nouveau. C'était dommage. Mais la bataille qu'il était sur le point de livrer ne concernait personne d'autre que lui-même – et celle à l'origine du Mal Cendré.

- Eh bien ! fit-il en haussant les épaules, je suppose qu'il est temps d'y aller !

Il leva sa main droite, fronçant les sourcils en la découvrant vite. Ah, oui, il avait oublié. Son bâton s'était aussi dissous en cendres ce qui faisait qu'il n'en avait plus. Il agita la main de haut en bas comme pour mesurer le poids de l'absence de cet objet, vieux compagnon de ses rudes randonnées. Mine de rien, il aimait bien marcher avec un bâton. Comme il disait, trois jambes valaient mieux qu'une. Bah, tant pis. Il s'en taillerait un nouveau, s'il avait le temps. Pour l'instant, il ferait sans. Il se mit en marche, à larges enjambées, les yeux fixés sur l'horizon. Autour de lui, il n'y avait que moignons d'arbres et tapis de poussière. Un paysage noir et dévasté, mort jusqu'à ses racines. Par sa vive allure, il eût tôt fait de quitter la forêt des Amoureux par l'est – les marais étaient en direction du nord. Le sol recouvert de cendre céda sa place à un sol rocailleux, nu et à vif. Rebecca l'attendait là, langoureusement assise sur une grosse pierre. Il s'arrêta à quelques mètres, la considérant. Il fallait dire ce qui était : c'était une bien belle femme. Nombreux étaient ses soupirants – et par conséquent, nombreux étaient les ennemis de l'homme. Cela le faisait doucement rire. Les gens au village étaient tellement stupides. Pour la moitié, ils croyaient qu'il avait ensorcelé Rebecca afin qu'elle devînt sa femme. Pour l'autre moitié, ils pensaient qu'il ne la méritait tout simplement pas – et, pourquoi pas, qu'elle se lasserait de lui un jour ou l'autre et reviendrait vers eux. Pour sa part, le mépris de Rebecca envers tous les paysans était assez parlant. Mais elle ignorait qu'il connaissait ses sentiments pour elle. Jour après jour, loin de se lasser, elle tentait toujours plus de le séduire. C'en était pitoyable.

Les Chroniques du Mouron (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant