Le Marais (Le Pays Desséché)

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Deux jeunes filles, à peine des femmes marchaient d'un pas peu assuré dans une forêt en décrépitude. L'une était mat de peau, avait de beaux cheveux et un visage généreux, portait une robe en coton avec, par dessus, un tablier blanc passé dont un des coins de l'énorme poche qui en couvrait le milieu était rebondi et tirait sur le bas. Elle allait sabots aux pieds, d'épaisses chaussettes lui remontant jusqu'aux genoux. Celle qui était à ses côtés pouvait passer pour sa parfaite opposée : sa peau avait la couleur d'une porcelaine immaculée, elle avait le port altier et de riches vêtements : de délicats souliers pourvus de chaussettes aux bords en dentelles rosées, une noble robe qui lui descendait jusqu'à terre et un châle diaphane couvrait de menues épaules. La seule ressemblance entre les deux était sûrement cette boue collante, immonde à l'odeur et au toucher qui leur était montée jusqu'au talon. Et peut-être, aussi, l'amitié qui les avait liées.

- Dis-moi Betty...

- Oui, madame ?

Même si aujourd'hui, c'était un lien de maitresse à servante qui les unissait.

- Fais-tu confiance à ce guérisseur ?

Emmeline se tourna vers sa nègre le visage honnête. Betty fut très touchée par le fait que madame lui demandât sincèrement son avis. Dans sa condition, ce n'était pourtant pas un droit auquel elle avait le droit de prétendre - ni même de rêver. Mais Emmeline était troublée, elle l'avait compris. Troublée par cet homme jeune qui paraissait garçonnet et parlait comme un vieux sage. Troublée par tout ce qui se passait dans son lieu de vacances et dont elle n'avait, hier encore, la moindre idée. Troublée enfin par la façon dont Elwen les avait traitées elle et Betty. Son statut social, brusquement, s'était retrouvé sans aucune valeur. Comparable à la boue dont elle maculée en ce moment même.

Betty prit le temps de répondre. Elle, que savait-elle de cet homme ? Elle savait qu'il ne la traitait pas comme une servante, qu'il l'écoutait attentivement - peut-être plus, même, qu'il ne le faisait avec sa maitresse, qu'il avait une véritable peste comme assistante et qu'il était sûr de ce qu'il faisait, ce qu'il avançait et qu'à un moment il ne l'avait vu douter. Même... Même quand il leur avait confié son carnet pour qu'elles tracassent les limites du mal. Il n'avait pas hésité une seconde et quand elles étaient revenues vers lui, leur tâche achevée, il ne leur avait offert qu'un simple hochement de tête comme si elles n'avaient fait que leur travail. Ou comme si pour lui, elles l'avaient accompli dès l'instant qu'il le leur avait confié.

Qui était cet homme à la confiance si prompte et forte ?

- Oui, madame. Je le crois quand il nous dit qu'il est le seul capable de résoudre ce problème.

Emmeline ne renchérit pas. Betty détourna les yeux, observant ce fameux problème. En fait de casse-tête, c'était plus une sorte de maladie qui ravageait la végétation. Avec une forte probabilité qu'elle pût aussi s'attaquer aux êtres vivants et de là, aux humains. C'était d'abord pour répondre à cette question qu'Elwen les avait envoyées en reconnaissance. Enfin... Elle n'en savait pas trop. Il leur avait demandé d'aller jusqu'au marais, de jeter dans ses eaux la poudre qu'elle transportait dans une petite bourse, dans la poche de son tablier, de bien observer le résultat, le graver dans leur mémoire et de le rejoindre à Noir-Blanc, une supposée cité qu'elles reconnaitraient sitôt qu'elles la verraient et qui se situerait derrière Fort-Val. C'était cette ville, le seul doute de la Noire.

- Mais, si madame me permet, j'aimerais dire que je ne me sens pas à l'aise avec cette histoire de ville plus loin dans la montagne.

- Ne t'inquiète pas, tu n'es pas la seule, lui répondit Emmeline.

Les Chroniques du Mouron (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant