Ce n'était pas la première fois qu'Étienne Francis prenait l'avion, mais il n'avait jamais pu s'habituer à la sensation que cela lui procurait. Chaque fois qu'il arrivait à destination, son cœur faisait un bond dans sa poitrine. Il n'avait jamais réussi à déterminer exactement la cause de cette peur. Tout ce qu'il savait c'était qu'elle le submergeait dès l'instant où il montait à bord.
Ils avaient décollé du sol américain depuis deux heures maintenant et le voyage devait encore être bien long avant leur atterrissage à l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle. Avant cela, l'avion ferait escale à Amsterdam, ce qu'Étienne attendait avec impatience. Il mourrait d'envie de se dégourdir les jambes et de sortir de ce vaisseau du diable, comme il avait tendance à l'appeler.
Assis à côté de la fenêtre, il avait tout le loisir d'admirer le ciel et la mer qui semblaient s'étendre à perte de vue. A sa droite, un homme portant des lunettes, dont le visage respirait l'intelligence, et une femme, aussi belle et charmante qu'on puisse imaginer, étaient en train de dorloter leur petite fille. Étienne estima qu'elle ne devait pas avoir plus de quelques mois. C'était une magnifique enfant avec son teint métissé et ses grands yeux noirs.
— Elle est adorable, dit Étienne aux deux parents qui le gratifièrent d'un sourire.
— Merci, répondirent-ils en chœur, ce qui les fit sourire davantage.
— Elle s'appelle Alvina, informa la mère. Une contraction de nos deux prénoms : Albert et Davina.
— Une idée de ma femme, intervint le mari, moitié amusé moitié exaspéré.
— Que tu as accepté, mon chéri.
— Est-ce que j'avais le choix ? répliqua ce dernier avec ironie.
— Bien sûr que non, répondit sa femme.
Le couple éclata de rire. Étienne ne put s'empêcher de faire de même.
Une bonne demi-heure passa durant laquelle les trois individus conversèrent sur plusieurs sujets, le futur de la petite Alvina étant celui qui revenait le plus.
— Nous avons de grands projets pour elle, dit Davina avec enthousiasme. Albert est un anthropologue reconnu, surtout aux États-Unis. Quant à moi je suis bibliothécaire. Il ne fait aucun doute qu'elle aura un brillant avenir. Je la vois bien comme écrivaine. Mais mon mari semble penser que ce n'est pas suffisant.
— Pourquoi ? demanda Étienne, lui-même envisageant secrètement de s'orienter vers cette carrière.
— Des écrivains il y en a déjà tellement, dit Albert en rajustant ses lunettes. Il est de plus en plus difficile, pour quiconque rêve de le devenir, de sortir du lot.
— Peut-être parce-que la plupart d'entre eux n'ont pas vraiment d'histoires à raconter, déclara Étienne.
— Comment ça ?
— Eh bien, il ne s'agit pas juste d'écrire pour écrire, expliqua Étienne, sous le regard attentif du couple mais aussi d'Alvina qui l'observait avec ses grands yeux sombres. C'est un peu comme lorsqu'une femme veut avoir un enfant. L'écrivain reçoit une histoire comme la femme reçoit la semence. Et tout comme la femme, une fois qu'il l'a reçue, il doit l'entretenir, l'aider à se développer jusqu'à ce qu'elle arrive à maturation.
— Belle métaphore, dit Albert. Donc pour vous, il y en a qui n'ont pas reçu cette semence ?
— Exactement. Certains deviennent écrivains sans y avoir reçu la vocation. Ils sont à la recherche du prestige, de la gloire qui accompagne le fait d'avoir — passez-moi l'expression — mis au monde une œuvre. Mais vous savez, tôt ou tard, la différence se fait sentir. Très peu d'écrivains aujourd'hui sont vraiment enceintes d'une histoire. Beaucoup ont juste le ventre ballonné.
Les trois passagers s'esclaffèrent.
— Vous semblez bien vous y connaitre sur le sujet, remarqua Davina. Etes-vous écrivain ?
— Si on s'en tient à la définition initiale de ce qu'est un écrivain, qui est « une personne qui écrit », alors oui, répondit Étienne en souriant. Mais je n'ai encore rien publié.
— J'imagine que vous n'avez pas encore trouvé l'histoire à raconter ? interrogea Albert d'un ton moqueur.
— Erreur, fit Étienne en secouant la tête. C'est elle qui ne m'a pas encore trouvé.
— Ah oui bien sûr, dit Albert, riant à moitié.
— Voilà, déclara Étienne en guise de conclusion. Pour revenir à votre fille, si elle en a vraiment reçu l'appel, alors tout ce qu'elle aura à faire c'est attendre, attendre tout en se préparant à recevoir cette idée qui changera sa vie et peut être aussi celle de plusieurs personnes.
— Dit comme ça, c'est vrai que ça a un sens, opina Albert.
— Je dois vous féliciter, murmura Davina à Étienne. D'habitude mon mari ne se laisse pas convaincre aussi facilement.
— Je n'ai fait que dire ce que je pense, dit Étienne, un petit sourire aux lèvres. Le hasard a fait que je me trouve assis à cote de vous. C'est vraiment étrange parfois la façon dont...
Mais Étienne n'eut pas le temps de terminer sa phrase car à ce moment-là, une grande secousse fit vibrer l'avion. Et ce fut la panique générale.
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Une île pleine de mystères
Short StoryÉtienne Francis, un apprenti écrivain, voit sa vie être chamboulée au-delà de tout ce qui est possible et imaginable lorsque son avion s'écrase subitement en pleine mer. Quelle est cette île mystérieuse sur laquelle il a échoué?