Mardi

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En ce mois d'Octobre, il commence à faire nuit vers 18h00. Il fait froid dans le Nord de la France. Il y a du vent. Nos doigts commencent déjà à se congeler après dix minutes à l'extérieur. Nos nez sont près à dégouliner de la morve.

Mardi, à 18h00 je suis sortie de chez moi pour aller courir. Chaussures roses « flashies » pour que les sportifs nocturnes ne me rentrent pas dedans avec leur vélo, pantalon de sport spécialisé dans le jogging et course à pied –le genre moulant mais cachant les formes que vous ne voulez pas montrer à tous-, tee-shirt ras le cou pour se couvrir des coups de vent, bien démaquillée, la laisse de ma chienne dans une main, une friandise de l'autre pour la récompenser lorsqu'elle aura sauté les barrières. N'oublions surtout pas le bandeau pour supprimer la transpiration qui me rend aussi attirante qu'un lamantin.

Je pars. Ma chienne frémit, elle est si heureuse de sa balade nocturne lui permettant de gambader dans la campagne sans avoir à se soucier des humains qui veulent constamment la caresser –bien qu'elle apprécie cela mais à petite dose, vous aimeriez vous faire caresser toutes les deux minutes par de purs inconnus ? J'imagine que non-, des enfants qui hurlent lorsqu'ils la voient et qui préfèrent lui tirer ses oreilles que de la caresser avec amour, des cyclistes préférant la performance à la sécurité et des joggeurs la raflant de près qui osent ensuite se permettre de ronchonner qu'elle les dérange. Ma chienne aime vraiment les balades, mais pas moi. Pourtant je suis dehors, je veux vraiment garder le rythme et faire des activités sportives. Mais je n'aime pas être dehors. Je n'aime pas être seule. Encore moins seule et dans l'obscurité.

Je cours le long de la Deûle. Là bas, j'ai l'impression de pouvoir respirer autre chose que les pots d'échappement des voitures et l'odeur morose de la vie en ville. Là bas c'est plutôt le chant des moutons et des vaches rentrant à l'étable et l'odeur de bouse et d'arbres.

Je lâche ma chienne. Un chien ne peut être pas constamment tenu en laisse. Je la vois partir dans les feuillages. Elle s'amuse comme jamais. Elle court, gigote dans tous les sens, oublie ma présence, revient me voir, repart. Je la laisse faire même si au fond de moi ma chienne n'est plus uniquement mon animal de compagnie, mon petit « bébé » à choyer, dehors elle représente une sécurité, la voir s'éloigner de moi me donne l'impression que je suis une proie. La proie de qui ? Je ne sais pas. N'importe qui. N'importe quoi. J'ai l'impression de délirer, de m'inquiéter pour rien. Je passe devant une écurie, les derniers chevaux rentrent dans leur box. Ma chienne les observe du coin de l'œil. Elle adore les animaux. Ils l'intriguent.

Je trace mon chemin. Le soleil se couche. Je n'ai fait que la moitié du chemin. Il n'y a plus un chat sur le canal. Les cyclistes sont retournés voir leur famille, les joggeurs ont faim. J'arrive dans une petite ville ou plutôt dans le petit port de la petite ville. C'est l'heure pour ma chienne de faire ses sauts d'obstacles. Elle l'ait faits sans broncher, elle doit sûrement savoir que j'ai toujours une récompense pour elle. Je la lui donne et lui sers à boire.

Je n'aime pas être seule. Surtout pas dans l'obscurité.

- Bonsoir.

Je sursaute en entendant une voix masculine derrière mon dos. J'essaie de reprendre mon calme, de stabiliser les battements de mon cœur et finis par me retourner. Un homme est planté à moins de deux mètres de moi, les bras croisés autour de son buste, un léger sourire en coin de lèvres.

- Bonsoir, lui répondis-je par pure politesse.

Ma chienne est toujours d'humeur à aller voir toutes les personnes s'approchant de moi, elle se dit que si je leur parle cela signifie « c'est son ami, je peux y aller », mais je la retiens par son collier. L'homme le remarque. Il est plus âgé que moi –pour rappel, j'ai vingt ans-. Il touche facilement les trente cinq ans. Il n'a rien du tueur en série d'Esprits criminels mais j'ai appris à me méfier.

De vous à moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant