Une journée dans ma tête

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                            Une journée dans ma tête. 


J'ouvre les paupières, la tête dans l'oreiller, cherchant minutieusement mon téléphone qui sonne pour m'avertir qu'une nouvelle journée commence. J'ai mal dormi, encore. Hier soir j'ai trop pensé, trop pleuré sans raison. J'ai vu les une heure du matin passé, les deux, les trois. J'ai fini par tomber de fatigue à cause de mon esprit à bout de pensées, à cause de mon corps épuisé de gigoter depuis des heures. Depuis des années je ne dors plus, ou du moins mal. On appelle ça le trouble du sommeil, j'appelle ça des pensées obscures hantant mon esprit. Les médicaments ne font pas effet, je suis trop jeune pour augmenter la dose. J'ai trouvé mon moyen de dormir, je presse fermement mon doudou, collant mon nez contre ses oreilles.


Je me réveille entièrement, éteins mon réveil, balance mes draps hors du lit. Une nouvelle journée commence. Il est sept heure. J'ai de la chance, j'ai un lit double, des couvertures, des oreillers confortables, une chambre qui me sert de refuge. À sept heure précise les pensées multiples émergent en moi. Je me sens chanceuse. Moi au moins j'ai un lit, j'ai un appartement ou une maison qui me permet de vivre correctement. Certains n'ont pas cette chance. Je me sens chanceuse alors pourquoi je n'arrive pas à me sentir heureuse ?


Je me lève, cherche une tenue à mettre pour la journée. Les pensées reviennent. Pourquoi suis-je en train de chercher qui je dois être à travers ma tenue ? Pourquoi n'ai-je pas simplement besoin de prendre au pif des sous-vêtements, un tee-shirt, un jean et une paire de chaussettes ? Mais non, il faut que je fasse attention à la coordination des couleurs, aux petits détails qui rendra ma tenue plus sensationnelle. Nous les occidentaux ne nous rendons pas compte à quel point choisir sa tenue du jour fait preuve d'un grand acte de narcissisme.


Je me lave, rapidement. Les pensées continuent. Je ne dois pas prendre de douche trop longue. Moi occidentale et européenne, j'ai la chance de pouvoir avoir l'eau courante. J'ai même le droit de choisir sa température juste en tournant un bouton un peu plus à gauche ou à droite.


Finalement je fais tout pour me rendre belle ou du moins potable. Toilette du jour, en faisant bien attention au maquillage. Naturel mais cachant les imperfections. Je me sens d'autant plus narcissique, frôlant l'égocentrisme lorsque je me peinture les lèvres de mon fidèle rouge à lèvres bordeaux. Pour une fois, les pensées sont positives. Mon maquillage est bio, je ne veux pas que les animaux soient passés avant moi, qu'ils aient été les testeurs de ce que je porte sur le visage. Première bonne action de la journée. Probablement la dernière.


8 heure sonne. Je dois partir pour ne pas arriver au retard en cours. 8 heure 15 arrive à grand pas et je suis toujours chez moi. Cette fois plus le temps de traîner, je bois d'une traite mon premier café de la journée et balance presque la tasse dans l'évier. Pas le temps pour la vaisselle et puis je n'ai pas envie d'abimer mes doigts avant le début des cours.


Dehors je cours. Au bout de ma rue, un groupe de jeunes m'attend. Ils connaissent mes horaires. Ils me sifflent. Je leur montre mon majeur, le cœur palpitant de douleur et de peur. Je regarde ma tenue, elle n'a rien de provocatrice ni de sexe attitude. Je porte un jean et des converses blanches virant au jaune dégueu à cause de leurs cinq années de vie. En pleine course les pensées m'immergent. Je n'ai jamais demandé à être une femme, vraiment. Certaines fois j'aurais aimé être un homme car en étant de sexe masculin jamais on ne m'aurait sifflé dans la rue. Je ne déteste pas être une femme, mais, j'imagine cela plus comme un fardeau à traîner qu'une bénédiction. Je n'ai jamais demandé à être regardée et perçue comme un objet plutôt qu'un être humain. C'est ce que je suis, non ? Alors pourquoi me siffler comme un chien ? Je continue ma route, pressant le pas, par grande chance il fait déjà jour et ma bonne vue m'aide à surveiller mon périmètre de sécurité. Bête à dire mais dans la rue je me sens faible, sans défense. Tout mon contraire dans la vie de tous les jours, moi qui prône pour l'égalité homme/femme. Mais dans la rue, j'ai peur, je suis terrifiée à l'idée qu'on me veuille du mal, qu'un jour un groupe tout sexe confondu s'en prenne à moi parce que j'ai l'air apeurée et faible. Je prends le métro, cherchant soit une place assise soit une place contre les parois. J'ai peur qu'on vienne se frotter à moi, je l'ai déjà vécu, traumatisant. Je mets la musique dans mes écouteurs. Je me laisse bercer pendant vingt minutes de trajet. Je regarde la foule autour de moi. Tellement de personnes si différentes les unes des autres. Ils vont travail, en cours, faire je ne sais quoi d'autres. Je tapote du pied, m'imaginant comment la vie était lorsqu'autrefois cette divine technologie n'existait pas. Vivaldi est de bonne humeur ce matin, il me joue les 4 saisons. J'aurais tant souhaité remonter le temps et le voir sur scène. J'ai toujours cru que je n'étais pas née dans le bon siècle, comme ci ma place auprès de la soupe musicale commerciale n'avait pas lieu d'être. Rares sont les personnes écoutant avec excitation et engouement la musique d'un temps ancien, d'un temps où la voix ne pouvait être trafiquée et où les instruments n'étaient accordés sur un logiciel.

De vous à moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant