4: L'asile

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Larouille eut l'impression d'entendre le chœur d'un millier d'anges quand il aperçut la petite église en contrebas. Il fit un rapide signe de croix, sans cesser de courir. Derrière lui, les hurlements avaient laissé place à des aboiements furieux, encore lointains, mais dont le volume croissait implacablement.

Le vieux chevalier dévalait la pente, sautant, dérapant, plongeant sous une branche, bondissant au-dessus d'une racine. L'obscurité de plus en plus épaisse l'empêchait de bien distinguer les obstacles, mais il ne pouvait se permettre de ralentir pour autant. Le risque de chute s'aggravait un peu plus à chaque pas.

Il crachait un juron à chaque fois que son souffle le permettait. Les sales bêtes étaient revenues. Et si vite ! Il pensait avoir réussi à les impressionner avec sa contre-attaque tantôt, mais la meute s'était regroupée rapidement. Et voilà à nouveau les loups sur ses talons, il jurerait encore plus nombreux, plus décidés, plus agressifs. Il tâcha de hâter encore le pas, la gorge brûlante d'essoufflement.

Émergeant de la forêt sur un étroit plateau parsemé d'alpages, il poursuivit sans ralentir vers l'église, au travers d'une volée de tombes. Le bâtiment paraissait âgé, mais encore solide, petit parallélépipède fruste surmonté d'un court clocher. Larouille repéra la porte, courut vers elle. Il ne ralentit que sur les derniers pas pour éviter de la briser sous le choc. Elle s'avéra verrouillée ; il se mit à la frapper des deux poings.

"L'asile !" hurla-t-il du reste de ses poumons. "Je demande droit d'asile !"

Le battant resta immobile. Larouille jeta un coup d'oeil derrière lui. La meute émergeait de la forêt, se répandant sur le plateau, fondant sur lui dans un grondement assourdissant, comme une foudre noire. Le vieux chevalier dégaina son épée, et se mit à cogner le bois de l'épaule, faisant grincer les gonds.

"L'asile !" répéta-t-il. "L'asile ! Par pitié ! Bordel de D..."

La porte s'ouvrit au moment où il s'apprêtait à la percuter de nouveau. Emporté par son élan, il trébucha à l'intérieur, manquant de peu de s'effondrer sur le sol. Derrière lui, le battant fut hâtivement refermé, avant qu'une épaisse planche n'achève de barrer l'entrée à tous visiteurs inopportuns, plutôt nombreux ce soir-là.

Larouille regarda autour de lui. L'obscurité était totale, à part une flaque de lumière ténue au milieu de la pièce, où une chandelle se consumait sur les dalles, couchée sur le côté. Les loups aboyaient et grognaient toujours dehors, mais les murs et la lourde porte étouffaient le vacarme. Une faible odeur d'humus flottait dans l'air, frais et immobile.

Par réflexe, le chevalier s'adossa au mur, sans rengainer son épée. Être armé dans une église était certainement un péché, mais se trouver sans arme dans un lieu obscur qu'il ne connaissait pas était contraire à son code de valeur personnel. Il préférait sans hésitation être pécheur que mort. Il attendit un moment, plus silencieux qu'une ombre.

Une fine silhouette se dessina peu à peu dans la chiche lueur de la chandelle renversée. La forme se baissa pour ramasser la lumière, et se redressa. Sa figure se matérialisa soudain, éclairée par-dessous. Un visage long, blafard, aux yeux soulignés de larges cernes et à la peau pendante. La tonsure de son crâne, de même que sa robe de bure noire, le marquait sans ambiguïté comme un ecclésiastique.

"Tu es dans la maison de Dieu, mon fils", dit l'apparition d'une voix profonde, lourde. "La seule épée que tu peux y brandir est celle de la foi."

Larouille balaya un instant la pièce du regard. Ses yeux s'habituaient peu à peu à la pénombre. La petite église était presque vide, à part quelques rangées de bancs, et une massive table de pierre en guise d'autel. Hormis lui et son lugubre interlocuteur, l'endroit se révéla désert. Le vieux chevalier eut un léger hochement de tête, et rengaina son arme.

Chevalier Larouille 2: Homini LupusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant