Chapitre 1:

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Siobhan


-Siobhan ? Siobhan ! Appela la voix grave d'Akim. Arrête de te cacher, tête de mule ! Sort et rejoins-moi ! Je te trouverais de toute manière.

Je réprimais un ricanement. Je n'allais pas le laisser me trouver pour la beauté du sarcasme. Il ne me verrait jamais. Il ne lui restait qu'à fouiller le village de fond en comble, puisqu'il ne me connaissait pas suffisamment pour deviner ma cachette. En plus, je n'étais même pas dans son enceinte. Personne ne pouvait me trouver. A part Lucian qui, pensais-je en soupirant, était déjà là.

- Siobhan ?

Je ne pouvais pas le voir, cachée comme j'étais contre le flan et sous l'aile de Kheith, mais j'aurais reconnu cette voix entre mille. Les pas se rapprochèrent et un grondement provenant de la gorge de Kheith retentit. Posant une main sur le cuir dur qui lui servait de peau, je murmurais :

- C'est bon, Kheith. Je sors.

Il souleva son aile afin de me libérer, manifestement à contrecœur. Je sortis à quatre pattes, puis me redressais en m'étirant. Mes yeux croisèrent ceux de Lucian, qui sourit :

- Je savais bien que tu étais là. Bonne idée, personne n'est assez courageux – ou assez fou – pour s'approcher de lui.

Je levais les yeux au ciel sans répondre et me tournais vers mon Dragon. Enfin, « mon » était un bien grand mot. Encore une fois, sa vue me coupa le souffle. Ses yeux dorés striés de vert me fixaient avec affection, et je réprimais un sourire. Kheith se redressa, ses écailles brillant de mille feux, puis se prépara à s'envoler. Ses muscles se bandèrent sous l'effort, ses ailes se replièrent, et le Dragon noir s'élança dans le ciel avec une souplesse étonnante étant donné sa taille et son poids. Le soleil du matin se reflétait sur les piques ivoire qui tapissaient son échine dorsale ; seules taches de couleurs au milieu de son corps ébène. Même s'il était très jeune pour un Dragon – il avait dans les cent ans – il avait déjà atteint sa taille adulte, si bien qu'il me paraissait toujours aussi gigantesque. Il devait faire quoi, sept fois ma taille ? Sans parler de son poids. Mais il ne me faisait pas peur. Du haut de la colline où nous étions, je pouvais voir notre village, les plaines, la forêt, et le désert qui bordait nos terres. Des Dragons volaient un peu partout. Aucun d'entre-eux ne m'effrayaient. Après tout, pourquoi me feraient-ils du mal ? J'étais leur fille, ils étaient ma famille. Et Kheith était mon monde.

En effet, quelques mois après ma naissance, mes parents disparurent et me déposèrent devant la grotte de Kheith – en fait, il était le seul à en avoir une, et il la partageait avec son géniteur, Shéorath. Mes parents avaient certainement voulus qu'il me tue, terrifiés comme ils étaient par ce que je représentais. Sauf que le Dragon m'emmena chez lui, trahissant leurs espoirs, et m'éleva jusqu'à ce que Shéorath remarque mon existence. Soit 3 ans après. Pourquoi lui avait-il fallu autant de temps ? Il était vieux, très vieux – il veillait sur nous, le peuple des Dragons, depuis près de mille ans. Et puis, j'avais appris très jeune à me taire, à vivre en silence. Marcher en silence, respirer en silence, manger en silence, courir en silence, dormir en silence. Kheith me suffisait. Kheith était tout pour moi. Je lui devais la vie, et ma dette envers lui s'alourdissait de jours en jours.

Les gens du village vivaient avec les Dragons, interprétaient leurs actions, jouaient  même parfois avec eux, sans jamais pouvoir leur parler. Et peu d'entre-eux aimaient Kheith. Parce qu'il était plus maladroit que les autres, renfermé sur lui-même, éternellement seul. Jusqu'à ce que j'arrive, me disait-il souvent. Il avait été très surpris de trouver une gamine braillarde devant l'entrée de chez lui, et d'autant plus quand la gamine en question s'était accroché à lui, dans le moindre gramme de peur.

Le sceau du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant