Cinquième feuille

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complètement déraillé. Elle s'est levée brusquement, a verrouillé la porte et a fermé les rideaux. Puis elle s'est tournée vers moi, et sincèrement, je n'arrivais pas à voir ce qui animait ses yeux. La haine, la vengeance, la peur, l'envie. C'était effrayant, elle avait l'air d'une folle avec ses yeux brillants comme deux billes bleues foncées qui me fixaient. En fait, on aurait dit une bête.

Puis, elle s'est dirigée vers moi, elle m'a déshabillé et... Je n'ai pas besoin de te faire un dessin.

Personne n'a entendu mes cris vu que le collège était presque vide, donc personne n'as pu me sauver. Elle m'a rapidement fait comprendre que je devais me taire si je ne voulais pas avoir de problèmes de toute manière.

C'est à ce moment là que j'ai compris ce que vivaient toutes les victimes, et que non, ce n'était pas rien, et que non, ça n'arrivait pas qu'aux filles, et que le fait que je sois un garçon ne me sauverait pas. Tu sais, les jeunes se sentent immortels, pas des immortels qui ne meurent jamais, mais des immortels à qui ils n'arrivent rien. On dit « à demain » comme si c'était sûr que demain existera. On oublie des personnes pour en rencontrer d'autres, et quand des personnes nous oublient, on est déprimés. On se soucie de petites choses futiles pour oublier les vrais problèmes, et on détourne le regard quand il y a quelque chose d'important devant nos yeux. On ne réalise pas tout. Et c'est comme ça qu'un adolescent doit vivre. Un adolescent, ce n'est pas censé avoir à supporter une famille, à connaître les problèmes d'argent des autres ni même à vivre ce genre d'expérience. Un adolescent, c'est censé être insouciant, stupide, irréfléchi, impulsif. C'est comme ça que doit être un adolescent. Parce qu'un adolescent, ce n'est qu'un enfant qu'on plonge dans le monde adulte comme dans de l'eau froide.

Est-ce que cette envie l'animait depuis longtemps ? Est-ce que c'est le fait que je sois plus jeune, que ce ne soit pas consentant, qu'elle est une emprise totale sur moi ou tout simplement moi qui l'ai poussé à cet acte ?

Maintenant, même si tu n'as pas les réponses, j'aimerais qu'on m'explique pourquoi. Pourquoi certaines personnes profitent de cette innocence qui nous habitent encore, nous, les grands enfants, pour la détruire ? La briser, la décortiquer, l'écrabouiller, la dévoiler à tout le monde, ou même nous la voler. Pourquoi ? Serait-ce des monstres qui auraient besoin de cela pour se nourrir et vivre, comme Dracula avec le sang des vierges ? Et bien, la vérité, c'est que non : ce ne sont que des humains. Les humains ne sont pas bons. Les humains qui sont gentils, qui sont généreux, qui pensent aux autres, ce ne sont pas des humains. Ce sont des animaux. Pour moi, tout est parti d'une humanisation. As-tu déjà vu un chien tuer par plaisir un de ses confrères ? As-tu déjà vu un oiseau torturer psychologiquement un autre oiseau? As-tu déjà vu une souris blanche réduire à l'esclavage une souris noire ?

Toutes les personnalités méprisantes de ce monde proviennent de l'Homme. Au jour d'aujourd'hui, je me considère comme un animal et plus comme un humain. Ça paraît fou dit comme ça. Stupide, étrange, mais c'est la réalité. Car, techniquement, chacun de nous est un animal, mais les humains, en se développant, se sont rendu stupides au passage. Et j'ai fait parti de ces humains stupides, égocentriques et dénigrants.
Et je me suis rendu compte de ça une semaine après.

Le lendemain, je ne suis pas venu en cours. J'étais réellement malade. Je vomissais, je me sentais sale, j'avais la tête qui tournait. Je ne te dis même pas le nombre de fois où, en passant devant la bouteille d'eau de javel, l'armoire à pharmacie, les couteaux de cuisine et les fusils de mon père, j'ai eu envie de mettre fin à mes jours. Mais je ne voulais pas, je ne voulais pas car à chaque fois je pensais à quelque chose, quelqu'un.
Ensuite, il y a eu le week-end, et j'ai fait comme si de rien n'était vu que mes cousins étaient arrivés. Ils ont dormi ici le vendredi et le samedi, et ils me permettaient d'oublier un peu. Sauf que la nuit, quand j'étais seul, dans le noir, tout cela me revenait en tête. Et dans ces moments-là, personne ne pouvait m'aider.

Le lundi, je commençais par maths. Elle a fait comme s'il ne s'était rien passé, mais en colle elle a recommencé. Et moi, je n'arrivais pas à l'arrêter, parce que dans ces moments, on se sent comme un moins que rien, on pense presque qu'on le mérite. On le mérite, ça ne nous arriverait pas sinon.

Fumée verteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant