4 Vies

Kat

Il faut que je trouve du fric, par tous les moyens. Je cumule déjà trois emplois, j'ai déjà fait tous les McDonald's du coin et ils en ont marre de voir ma tronche. Ça ne suffit pas. Je pourrais toujours vendre mon vieux portable, mais je ne veux pas. Je ne peux pas arrêter de lui parler. Elle est ma constante, la seule chose qui compte encore. La seule raison qui me pousse à me lever le matin. La seule personne qui reste, qui ne m'abandonne pas. Et puis si je le vends, ça me rapportera combien ? Vingt balles ? Ça ne vaut pas le coup. Il est tout abimé, ce vieux truc. C'est mes parents qui me l'avaient acheté pour mes dix-sept ans, j'en ai dix-neuf maintenant. Je ne sais pas pourquoi ils continuent à payer mon forfait. Peut-être qu'ils espèrent quelque chose, peut-être qu'ils y croient encore. Quoi qu'il en soit, ça ne m'intéresse pas. L'essentiel, c'est qu'ils continuent de le faire. Peu importe pourquoi. Peu importe ce qu'ils croient.

Il y a presque un an, je comptais le revendre, mais Mirage m'a envoyé un premier SMS. C'est drôle quand même, la façon dont j'ai failli rater la seule personne qui parvient toujours à me supporter. Ce message, ce n'était rien d'autre qu'une erreur. Une bête erreur, juste un chiffre qui n'était pas le bon, ça aurait dû en rester là. Mais elle a senti que je n'allais pas bien. Elle a senti que c'était dur ici. Elle est restée et moi, je l'ai tout de suite aimée. Je lui raconte à quel point ma vie est pourrie, elle me raconte comment la sienne est géniale. Elle me permet de m'évader de mon quotidien de SDF, elle me permet de rêver un peu et elle m'écoute. Elle m'écoute vraiment, y a plus grand monde qui parvient encore à faire ça. Aujourd'hui, elle est toujours là. On se parle toujours. On s'aime toujours.

Je me lève péniblement du banc sur lequel j'ai passé la nuit, le dos engourdi. À mon âge, j'ai déjà un capital santé complètement bousillé. J'ai une sciatique depuis plusieurs mois à force de dormir dans des endroits improbables, des bleus partout, un rhume et sans doute plusieurs cancers qui ne demandent qu'à se déclarer à force de bouffer ce que je trouve. Sans parler de l'air pollué de Paris que je respire à plein nez. Mais bon, ce n'est pas si dur après tout. Je ne suis jamais seule, j'ai toujours de la compagnie, toujours un clodo qui vient gratter de quoi bouffer ou un peu d'argent. En général je partage, j'ai même mes clodos préférés. Gary par exemple, Gary est super cool. Apparemment, c'est un ancien activiste recherché par la CIA. Apparemment, il détient des informations très compromettantes sur le gouvernement américain. Apparemment, il aurait même couché avec Trump. Gary est cool, oui. Il est complètement dingue, carbure au whisky de huit heures du matin à onze heures du soir, mais il est cool. Sacrément cool.

Je dégage ma vieille couverture que j'ai trouvée dans une poubelle et la range dans mon sac à dos Dora l'exploratrice. Au passage, je fais un doigt à une vieille qui planque son sac et j'ouvre mon portable. Un message. Je souffle pour réchauffer mes doigts gelés et j'arrive, avec peine, à appuyer sur les touches de mon portable.

Mirage : Hey toi, comment tu vas ?

Kat : Hey, je vais bien si tu vas bien.

Mirage : Bien sûr que je vais bien ! Tu fais quoi aujourd'hui ?

Kat : Je vais aller dans un bar, monter sur les genoux du premier connard que je vois et lui piquer son portefeuille, probablement. Sois pas jalouse, je suis sûre que ta matinée sera aussi sympa que la mienne.

Mirage : Kat... je croyais que t'avais trouvé un job ?

Kat : Ça suffit pas, et je me suis fait voler ce que j'avais sur moi hier. Dure vie que je mène, pas vrai ?

Mirage : Je vois... quel bar tu comptes piller, pirate des temps modernes ?

Kat : Le Meltdown. Bon tu m'excuseras, j'ai du boulot...

Mirage : Oui, bien sûr. Bonne chance et sois prudente. Je t'aime.

Kat : Je t'aime aussi.

Je passe ma main dans mes cheveux blonds emmêlés et tombe sur un chewing-gum accroché. Faut croire que je me suis endormie dessus. Fais chier.