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Chapitre 3

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Point de vue Mélanie

Je sors du lycée, mon sac à dos me sciant l'épaule droite. Le soleil me brûle les rétines et je cherche à travers mes paupières plissées un homme ressemblant à la photo reçue quelques heures plus tôt. Au bout de quelques minutes, je distingue enfin un homme plutôt mince, brun et de taille moyenne, accoudé à une Twingo grise. Je me dirige vers lui avec appréhension quand il me remarque. Il vient à ma rencontre et me serre la main.

— Gabriel enchanté.

— Mélanie. Enchantée aussi, je suppose.

Je souris maladroitement et visiblement nous n'avons plus rien à dire. Alors on reste plantés là en regardant le sol, le ciel, les gens qui nous bousculent. Absolument tout ce qui nous permet de trouver une échappatoire. Après une minute de silence, il prend enfin la parole :

— Très bien... on prend la route ?

— Je veux bien !

Je tente encore un sourire que j'essaie de rendre aussi naturel que possible. Raté. Faut dire que cette situation non plus, elle n'a rien de naturel. J'inspecte la voiture à travers la fenêtre et je vois une femme que je devine être Kat, appuyée sur la portière négligemment, avec l'air de s'ennuyer profondément. J'ouvre m'installe sur la banquette arrière avec un petit soupir de soulagement, enfin pouvoir poser mon sac est une bénédiction. Dans un bruit de frottement j'entends Kat se retourner en coup de vent et me détailler. Elle s'arrête sur mon ventre et fronce les sourcils. Je baisse les yeux à mon tour et remarque que l'on peut en deviner les courbes sous mon pull, je le replace immédiatement, mais je vois dans ses yeux bleus qu'elle a deviné. Je me mords la lèvre, j'espère qu'elle ne va pas poser de questions, ça m'embarrasserait vraiment. Gabriel ouvre la portière avant et se place derrière le volant. Il met le contact et Kat lui ébouriffe les cheveux. Il soupire et lui jette un regard fatigué.

— Kat... arrête.

Je suis un peu surprise par le geste de la jeune femme. On n'était pas censés être des inconnus les uns pour les autres ? La blonde se retourne vers moi et m'avise rapidement avant de commencer à parler.

— Alors en fait, je t'explique comme ça on gagnera du temps. Gérard ici présent est un gros coincé du derche, tu saisis ? Mon but depuis que je le connais est donc de le décoincer. Un jour, il me remerciera.

Gabriel marmonne quelque chose d'inintelligible et Kat ricane doucement. Elle a un joli rire... en même temps une fille aussi belle qu'elle ne peut pas rire comme un vieux phoque, ça l'aurait complètement décrédibilisée. Je suppose.

— Je ne suis pas coincé, je n'aime juste pas qu'une sangsue de SDF squatte chez moi et me pique mes fringues.

— Je te pique pas tes fringues, je te les emprunte !

Je prends le temps d'observer les vêtements de Kat, en effet, ils sont beaucoup trop grands pour elle, mais bizarrement ce n'est pas si dérangeant. Moi je mets un jean trop grand, un chasseur m'abat en pensant que je suis un canard sauvage et se fait des mocassins avec ma peau. Je pose enfin une question qui me brûle les lèvres, mais que je mets du temps à formuler à cause... de mes hormones. On peut tout mettre sur les dos des hormones.

— Donc tu es... à la rue c'est ça ?

— Ouaip.

— J'en suis désolée.

C'est ce qu'on dit en général, non ?

— Fais pas ton hypocrite tu veux, tu t'en bas royalement les ovaires de moi et c'est normal : on est encore rien l'une pour l'autre. Mais je compte bien devenir ton amie, Mélanie quelque chose, rien que pour pouvoir comprendre ce qu'une gentille fille comme toi a fait pour se retrouver dans cet état.

— Oh bah tu sais, je peux te faire un cours de SVT, mais...

Voyant que Gabriel commence à se poser des questions, je m'empresse de dire la première chose qui me vient à l'esprit.

— Mélanie Lyre.

— Quoi ?

— Mon nom c'est Lyre. Pas quelque chose.

— Et bien Mélanie Lyre, on va devenir amies. Que tu le veuilles ou non. Et j'espère que toi au moins tu ne m'enverras pas le numéro d'un flic coincé.

Je ne peux pas m'empêcher d'en rire, même si c'est assurément de mauvais goût compte tenu de notre situation. Pas Gabriel. Gabriel ne rit pas, il ne semble pas en avoir envie. Pas du tout. Ses sourcils sont froncés, ses mains crispées sur le volant.

— En fait, je pense qu'elle a fait plus que ça. C'est elle qui m'a mené jusqu'à toi.

— Comment ça ?

— Elle savait que tu comptais voler un gars dans un bar, c'est elle qui m'a envoyé là-bas, ça vient de me revenir.

Je vois Kat ouvrir la bouche puis la refermer pour finalement la rouvrir et la refermer. Dire qu'elle est surprise serait un euphémisme.

— Ça veut dire... que cette espèce de garce a envoyé les flics en sachant pertinemment que j'allais avoir des problèmes ?

— Elle n'a pas envoyé les flics, elle m'a envoyé moi. Elle voulait qu'on se rencontre nous particulièrement... j'ignore pourquoi. Peut-être que ce n'est qu'un jeu pour elle.

— Non. Tu mens.

Je me sens tellement triste. Avant de voir tout ça, je pouvais encore espérer que tout n'était qu'un terrible malentendu. Mais en y réfléchissant, je me rends compte qu'il y a toujours eu des incohérences dans les photos qu'elle m'envoyait. Dans ses messages aussi d'ailleurs. Mirage, ou peu importe son nom, se fichait de moi. Et visiblement je ne suis pas la seule à avoir été trompée.

— Kat...

— Arrête la voiture.

— Quoi ?

— Gabriel, arrête la voiture !

En tant que spectatrice de la scène je peux voir la confusion sur le visage de Gabriel et la colère sur celui de Kat. Mais sous son masque je sais ce qu'elle ressent, de la tristesse. Gabriel se gare sur au bord d'un trottoir et Kat descend avec précipitation, prise d'un besoin de prendre l'air que je comprends. Je mets quelques secondes pour m'excuser auprès de Gabriel et courir vers elle. Elle se tient à la barrière de sécurité qui sépare les piétons des voitures. Son visage tourné vers la route, ses yeux perdus dans le vague. Je sais qu'elle veut pleurer. Ça se voit à la manière dont elle déglutit et ferme les yeux pour empêcher ses larmes de déferler. Ce qu'il faut savoir c'est que ça finit toujours par ressortir. D'une façon ou d'une autre. Je pose ma main sur son épaule et tente tant bien que mal de la rassurer.

— Tu sais, tu as le droit de pleurer.

Elle secoue la tête.

— Ça fait bien longtemps que je n'ai pas pleuré. Je ne compte pas recommencer pour elle.

Elle secoue une nouvelle fois la tête, balayant les émotions qui la transpercent. Je reste comme ça un moment, sans vraiment oser faire quoi que ce soit. Et puis j'ose finalement, parce qu'elle en a besoin et que je me sens curieusement proche d'elle.

— Alors... tu ne devrais pas pleurer pour elle, mais pour toi. Simplement parce que... tu en as besoin.

Elle me considère un instant, le visage étonné et les traits plissés. Puis elle éclate en sanglots. Ma main sur son dos et les siennes soudées à la barrière. Elle vide toutes les émotions qu'elle a accumulées et j'en suis sûre, c'est la meilleure des choses à faire. Elle se reprend, s'essuie les yeux et masque le tout par un sourire qui se veut rassurant. Malgré le mal qu'elle se donne pour cacher sa peine, les larmes contenues dans ses yeux ne mentent pas. Cette jeune fille qui me fait face est un être complexe, j'en suis sûre.

— Je pense qu'après avoir pleuré comme une madeleine devant une parfaite inconnue, j'ai besoin d'une séance shopping.

Je fronce les sourcils. Une séance shopping. Ça parait vraiment déraisonnable.

— Et avec quel argent ?

Elle brandit un chéquier de sa poche.

— Avec ça !   

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