La promesse du dimanche suivant s'est dégonflée. Une journée où tous les tons de gris complotaient pour faire un tableau sombre. Le soleil et l'animation de l'autre dimanche étaient aussi enfermés dans leur souvenir que la lettre dans sa boîte. La grand-mère d'Harry était aussi grise que le ciel et Harry avait du mal à contenir les désirs qui s'infiltraient dans ses rêves éveillés.
Néanmoins, la journée se pasa, minute par minute, déroulant l'histoire écrite bien avant la naissance d'Harry. Ils prirent en silence un déjeuner qui ne méritait pas de commentaires. Rien ne vint ébranler les murs qui cachaient cette vie qui n'en était pas une. Les mots n'avaient pas de nageoires au fond de la mer noire des pensées perdues.
La lettre sortie, aérée, resta aussi hermétique. Que voulaient-ils qu'elle dise ? La lettre même avait perdu sa saveur auprès d'Harry. Qu'est-ce qu'elle allait changer ? Ce n'était qu'une énigme de plus dans cette maison aux mille voiles. Harry avait même cessé de chercher des indices sur son père.
Heureusement que les lundis surviennent régulièrement, fidèles, fiables, et avec le secours de l'ami lundi arrive l'école, qui permettait à Harry de s'activer un peu plus. Il n'avait jamais fait partie d'une bande, il n'avait jamais joué avec les garçons de sa classe. Il n'était que la proie de l'amour des filles. On ne lui demandait rien, à tel point que même le clan des durs s'écartaient par respect. Mais, depuis l'arrivée de Louis, Harry semblait moins intouchable et on commençait à lui adresser la parole.
À la sortie des classes de ce lundi hivernal, Georgia et Simon attendaient Louis devant l'école dans le minibus familial.
"On est de corvée pour les courses, aujourd'hui. Il faut que tu nous aides, Harry. On va à Bercy."
"Bien volontiers, mais il faut que je prévienne Grand-Mère."
"On va passer devant chez toi et tu iras vite lui dire."
Harry n'était jamais encore monté dans une voiture et rouler était un tout nouvel amusement pour lui. Il n'était encore jamais entré à l'intérieur du moindre petit magasin et cet hypermarché lui sembla être une autre planète. Georgia lui donna une pièce de dix francs pour le chariot. Harry observait attentivement les manœuvres de Louis, Georgia et Simon. Louis lui expliqua: "Il nous faut quatre chariots. On représente l'équivalent de quatre familles, tu piges ?"
"Voici ta liste", lui dit Georgia en lui fournissant une feuille couverte de noms d'articles. " Rendez-vous à la caisse dans quarante-cinq minutes."
Harry avait déjà la tête qui tournait mais il aurait aimé passer des heures à étudier les objets, les boîtes, les paquets, les sacs, les chiffres qui indiquaient le prix des choses. Il avait déjà visité un musée avec sa classe, mais ce musée-ci était encore plus passionnant. Il y avait tant à voir... Mais il fallait faire vite. Trois cartons de six briques de lait demi-écrémé, six douzaines d'œufs, deux paquet de couches-culottes. Il s'y mit comme il faisait avec tout, avec diligence et application. Son efficacité, même dans ce pays étranger qu'était l'hypermarché, le poussait à arriver en bas de sa liste avant la fin du délais. Il se dirigea vers le rayon librairie comme vers une terre connue. Appuyé sur son chariot, il lisait les couvertures multicolores perchées sur leurs présentoirs. Ses yeux s'envolaient de livre en livre et c'est seulement le choc avec un autre chariot qui le ramena sur terre. Encore heureux que ç'ait été le chariot de Georgia débordant des produits les plus divers. Georgia ramassa les paquets de céréales, les boîtes de maïs, les sous-vêtements tombés en disant distraitement: "Rendez-vous comme prévu."
Harry poussa son chariot vers la table centrale, où les livres "vedettes" étaient empilés. Là, il fut attiré, non pas par un titre, mais par le nom d'un auteur. Ses yeux transperçaient la couverture. Paralysé sur place, il le fixa jusqu'à ce qu'il décide de saisir le volume. C'était certainement un endroit inattendu pour faire cette rencontre, un jour où il ne demandait rien à personne, rien à la vie, sauf de se lever, d'aller et venir, de s'asseoir, de manger, de marcher, d'écrire, de lire et de se coucher.
Il le tournait et le retournait, lisait la quatrième de couverture sans la lire feuilletait du début à la fin, puis de la fin au début. Il le frotta contre son front, le serra contre sa poitrine, sans se rendre compte que ce n'était que du papier, sans imaginer qu'il n'avait pas de quoi l'acheter. L'acheter n'était même pas nécessaire. Ce livre, de toute façon, lui appartenait.
Il se laissa glisser par terre pour contempler le livre à son aise. C'est ainsi que Louis le trouva. Complètement essoufflé et affolé, il lui dit: "Ça fait dix minutes qu'on t'attends. Tu veux empêcher la famille Tomlinson de manger ce soir ou quoi?"
Harry leva la tête, mais sans plus. Il savait à peine où il était et ce que Louis lui voulait. Son chariot s'était égaré, poussé à gauche et à droite par les consommateurs pressés. Louis lui tendit ses deux bras: " Attrape !" lui dit-il comme à un bébé en essayant de le soulever. Harry se réveilla brusquement de sa confusion et mit le livre sous les yeux de Louis. Louis, qui s'intéressait plus aux titres, lut à voix haute : La Grande Guerre - les leçons des pères. Il ne fit pas attention à l'auteur. "Toi et les guerres, Harry. Il y a autre chose dans la vie que les guerres! Viens! Les autres perdent patience!"
Harry agrippa le livre, empoigna le chariot qu'il rattrapa au bout du rayon papeterie, et courut avec Louis vers la caisse 26, comme s'il avait des patins à roulettes.
Georgia était en train de transvaser les articles du chariot au tapis de la caisse et Simon du tapis au chariot. Louis ajouta la marchandise d'Harry. Les clients derrière eux s'impatientèrent quand le trio introduisit Harry en passant devant eux.
Louis expliqua simplement: "C'est la première fois qu'il fait des courses." Pour l'excuser, il ajouta: " Il est très bon élève, mais il est nul en shopping."
Simon paya la somme astronomique du contenu des quatre chariots. "Vous avez un restaurant ?" lui demanda la caissière.
"Non, si vous voulez vraiment savoir, je suis l'aîné de cinq frères et huit soeurs et, par une étrange nécessité, tout ce monde mange au moins trois fois par jour."
"Vous plaisante!" lui dit la caissière.
"Non, pas du tout. Quand mes parents m'ont vu, si beau, si intelligent, si parfait, ils ont dit: " Il faut en faire treize autres comme lui!" Malheureusement, les autres sont un peu ratés", dit-il en montrant Georgia et Louis. La caissière, jolie rousse ultra-maquillée, était captivée par l'orateur. Simon, loin d'être l'aîné, d'être parfaitement beau, était plutôt petit, gros, avec le front qui se dégarnissait prématurément. Ça lui donnait un air plus vieux que ses vingt-deux ans. N'empêche qu'il avait beaucoup de succès auprès des femmes, qui aimaient son humeur, sa chaleur, son charme. Mais lui, il n'aimait que Milène, son amie étudiante en maîtrise d'histoire comme lui.
Quand le denier sac fut casé dans le chariot, Harry suivit le cortège, et la caissière lui cria: "Eh, le livre, tu comptes le voler ou quoi ?"
Harry regarda Louis, qui savait qu'il n'avait pas un centime. Georgia prit le livre et lut le nom de l'auteur: "Gaspard Styles... C'est un parent à toi?"
"C'est mon père... Je pense."
"Il est très connu comme type. Il est sur ma bibliographie de maîtrise. Ça m'intéresse. Je vais l'acheter et je te le prêterai." dit Simon.
Doit-on vraiment acheter le livre de son propre père ? Était-ce son père? Pouvait-il y avoir plusieurs Gaspard Styles? Harry, qui jusque-là n'avait pas vraiment eu de père, pouvait-il d'un coup se dénicher un père célèbre ? Il était tellement occupé à se poser des questions, qu'il ne dit rien en transférant les paquets du chariot au coffre du mini-bus et du minibus à l'appartement des Tomlinson.
"Tu restes dîner?" lui demanda Georgia, chargée du repas du lundi.
"Non, merci. Je vais partir... Grand-Mère..." Mais il n'arrivait pas à décoller avant d'avoir pu formuler sa question.
"Dis-moi, Simon. Comment fait-on pour trouver l'adresse d'un auteur ?"
"Tu écris à l'éditeur, tu vois, celui qui est marqué en bas de la couverture. Tiens, tu veux le lire en premier?"
"Oui, merci, si tu veux", dit Harry essayant de cacher sa précipitation en rangeant le livre dans son cartable, loin des yeux de sa grand-mère. Loin des yeux, loin du cœur ?
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Lettres d'amour de 0 à 10 (Larry Stylinson)
FanficL'histoire de deux enfants. L'un est timide, l'autre est extraverti. L'un est orphelin, l'autre vit entouré de sa famille nombreuse. L'un est calme, l'autre est bruyant. L'un vit dans le passé, l'autre croque la vie. L'un Harry, l'autre est Loui...