Vulnérable

Partie 1

Le soleil disparaissait derrière les derniers champs visibles depuis la petite colline. Ce spectacle magique aurait émerveillé quiconque, mais pas Kiona. Bien au contraire la jeune fille en avait peur. Le phénomène en lui-même ne la dérangeait pas, elle le trouvait même beau, mais sa signification était horrible : le retour de son père. Assise dans l'herbe au pied du cerisier où se trouvait la tombe de sa mère, elle entama une douce mélodie qui se mélangea au chant du rouge-gorge présent sur l'une des branches de l'arbre. La chanson était la berceuse qu'enfant, sa mère lui chantait pour qu'elle s'endorme. Fermant les yeux, elle se la remémora, se fût d'abord les traits de son visage qui lui revint, suivi de son parfum et de son rire pour finir avec sa voix tendre. Elle se souvient alors de cette époque emplie d'insouciance. À ce moment-là de sa vie jamais elle n'aurait imaginé son futur rempli de tant de peur et de tristesse. Avant tout était tellement simple. Il suffisait d'imaginer être un chat pour le devenir. Enfant, elle rêvait de devenir une princesse, avec une jolie robe rose et de magnifiques chaussures. Elle aurait épousé un prince et aurait vécu dans un immense château. Ce rêve d'enfant bien qu'impossible, était merveilleux. Elle donnait un but à sa vie. Aujourd'hui, la seule chose qui comptait à ses yeux était d'être acceptée par la société, ne plus être rejetée pour sa différence. Certes, elle n'avait aucun pouvoir magique, mais elle était tout de même humaine ! Kiona se désolait de ne pas pouvoir vivre avec ses ancêtres, eux qui n'avaient de la magie que dans les livres, c'était bien mieux comme ça, selon elle.

Son père arriva, ce qui la coupa dans ses pensées. Elle murmura quelques mots à sa mère et inspira une grande goulée d'air frais, qu'elle ne reverrait pas de sitôt et ferma les yeux en attendant qu'il vienne la chercher. Il l'atteignit rapidement et l'attrapa violemment par le bras pour soulever son corps frêle et la traîner jusqu'à l'intérieur. La souffrance qu'elle éprouvait ne la dérangeait pas, au fil du temps, la fillette avait appris à la maîtriser et ne rien laisser paraitre devant une quelconque personne.

-Petite moins que rien, tu as vraiment cru que tu pouvais sortir à ta guise ? Ricana-t-il.

Sans aucune pitié, il jeta son enfant dans les escaliers menant au sous-sol, Kiona les dévala sur le dos. Difficilement et en grimaçant de douleur, elle se releva et se réfugia dans un des coins de la pièce, juste sous la fenêtre qui était bien trop haute pour qu'elle puisse l'atteindre. La jeune fille attrapa son journal en cuir méticuleusement caché entre deux pierres du mur, et commença à écrire, la seule chose qu'elle pouvait faire dans ce sinistre endroit.

2154e jour,

Actuellement, je me trouve au sous-sol. Encore. Cet endroit qui me parut si sombre et obscur auparavant m'est devenu si familier... Je peux presque le comparer à ma chambre, c'est à peine si je me souviens de la couleur des murs de celle-ci !

Je suis allé voir maman cette après-midi, après avoir réussi à m'échapper en crochetant la porte, il n'a pas franchement apprécié. Cela peut sembler bizarre de ne pas être revenue avant son retour, mais il aurait trouvé autre chose pour me punir. omme la semaine dernière. Il avait perdu, je ne sais quoi, puis m'avait accusée. C'est si simple ainsi. Et puis j'avais besoin de la voir aujourd'hui, c'est mon anniversaire. J'ai 13 ans. Mon prétendu « père » ne me l'a pas souhaité, c'est normal, pour lui ce n'est que journée banale, une journée de plus à me supporter. Je suis sûre qu'il attend juste que le roi vote cette stupide loi qui oblige l'arrestation puis la pendaison des Vulnérables. Il serait tellement heureux de se débarrasser de moi une bonne fois pour toute, je ne serais plus un poids dans sa vie...

Cette nuit, j'ai rêvée, un rêve que j'aimerais tellement vivre réellement. Je vivais parmi mes ancêtres. Personnes n'avait encore de pouvoir. Je pouvais me promener sans être sans arrêt montré du doigt. Malheureusement, tout cela n'était qu'un songe. Un doux songe, mais un songe quand même. La réalité est beaucoup plus dure et inégale.

Ma mère me manque terriblement, on dit souvent que le temps atténue la douleur, mais moi, j'ai l'impression qu'il me ronge, chaque jour est plus dur que le précédent. Une épreuve de plus à franchir. Aujourd'hui, après 2154 jours, je

Kiona fut coupée dans son récit par les bruits des pas de son paternel. Rapidement, elle cacha son journal, puis vit son géniteur arrivé avec un fouet. Elle frissonna en sachant très bien ce qui allait se passer. La même chose qui durait depuis la mort de sa mère. Ce châtiment qu'il lui infligeait pour se calmer après une journée difficile ou simplement pour assouvir ses pulsions. En prenant soin de toujours avoir une excuse, qui justifiait ses gestes ignobles. Il avait mis au point des tas de technique de torture toutes plus atroce les unes que les autres, mais ses préférés restaient assurément le fouet et le couteau, beaucoup plus traditionnels et plus efficaces. Il aurait certainement adoré pouvoir se servir de ses dons magiques pour bien lui montrer à quel point il était supérieur à elle, mais cela était impossible du fait de sa différence, au plus grand soulagement de la jeune fille.

L'homme s'approcha de sa fille et une lueur de folie passa dans ses yeux, à partir de ce moment, il fut dans un état second. Il allait pouvoir se défouler après sa journée épuisante à travailler dans les champs. Enfin, il allait pouvoir se détendre. Il attrapa les poignets de Kiona, la tourna face au mur, lui attacha les mains grâce aux chaînes déjà présentes, puis commença à se laisser aller. Un coup, deux coups... Très vite, il ne compta plus et lâcha toute la haine qu'il avait accumulée durant beaucoup trop longtemps. Il pensa ensuite à sa femme tuée par la faute des Vulnérables et redoubla de force. Il songea ensuite, pour la première fois depuis le décès de son épouse, à ce qu'il faisait à sa propre fille, mais il ne réussit pas à se calmer, bien au contraire, il frappa encore et encore, comme pour se punir lui-même, jusqu'à finir par s'écrouler au sol et pleurer tout comme sa fille.