Partie 3

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  Kiona attendait. Elle ne savait pas combien de temps, s'était écoulé depuis le départ de son père. Une heure ? Deux ? Le visage de ce dernier la hantait. Il avait pleuré. Il avait éprouvé des sentiments. Elle qui pensait que jamais plus elle ne rêverait un sourire sur ses lèvres où de la tristesse dans ses yeux, c'était trompé. Cela lui rappela une fois de plus le doux temps de son enfance. Le temps où ils formaient une famille unie, son père, sa mère et elle.

La porte s'ouvrit violemment, son père dévala les escaliers en un rien de temps et il se planta devant elle. Prise de panique, elle recula jusqu'à se retrouver collée au mur.

- Non, tu ne dois pas avoir peur ! Je ne suis pas là pour te faire du mal. Je... J'aimerais que l'on parle, proposa-t-il. Autre part, ajouta-t-il en tendant la main dans sa direction.

La fillette refusa sa main, mais lui fit comprendre d'un signe de tête qu'elle le suivait. L'homme partit vers les escaliers et elle le suivit. Arrivée dans le salon, Kiona fut surprise de voir un mur entier littéralement brûlé. Elle interrogea silencieusement son père. D'un haussement d'épaule, il répondit :

- Je me suis légèrement emporté. Là n'est pas le problème. Tu dois surement avoir des questions, mais avant tout, sache que je regret tout ce que je t'ai fait subir et que si je pouvais remonter le temps je le ferais, à n'importe quel prix. Crois-moi.

Elle ne répondit pas en contentant de le regarder durement, son patriarche prit sa tête entre ses mains et souffla bruyamment.

- Écoutes, j'ai été un très mauvais père mais j'ai pris conscience que tout ça était inhumain et injuste, tu n'as rien fait. J'ai démissionné, pour toi, pour que l'on puisse vivre tous les deux et être heureux. Mais malheureusement en rentrant, je suis tombé sur ça, dit-il en lui donnant le journal.

Encore septique après ce beau discourt, elle prit le journal. « LA CHASSE AUX VULNERABLES COMMENCE », voilà quel était le gros titre. Scandalisée pas, les termes employés, l'adolescente parcourut l'article des yeux. Le roi avait voté la loi. Elle devenait donc un hors-la-loi. En parcourant les dernières lignes, elle vit une information qui la choqua. Les personnes cachant ou aidant des Vulnérables, étaient-elles aussi tuées. Elle se rendit compte alors, de l'ampleur du sacrifice que s'apprêtait à commettre son père en l'aidant.

- D'accord, j'accepte tes excuses, mais je n'oublie pas, tout le mal que tu m'as fait, je te pardonne uniquement parce que je suis obligée de le faire. Rien ne redeviendra comme avant.

Dans un élan de joie, l'homme se leva et alla prendre sa fille dans ses bras. Kiona gémit de douleur et il s'excusa encore. Elle ne répondit pas et sur un accord commun, ils décrétèrent qu'ils devaient partir, trop de gens connaissent leur existence. La jeune fille monta dans sa chambre, elle s'arrêta au seuil de la porte et admira la pièce. Cela faisait des mois entiers qu'elle n'avait pas remis les pieds ici et ça lui manquait. Elle s'approcha doucement de son cadre posé sur sa table de chevet. Elle le prit délicatement et caressa affectueusement l'image représentant sa mère. La femme souriait. Une larme perla au coin de ses yeux et elle l'effaça vite. Pour se changer les idées, elle saisit un sac au-dessus de son armoire et entreprit de le remplir avec des vêtements. Elle y mit également le cadre photo et une montre à gousset datant de l'ancien temps que sa mère lui avait légué. Elle boucla son bagage et en profita pour aller prendre une douche et changer de vêtements, car elle portait toujours ses habits couverts de sang séché.

Parée de nouveaux vêtements propres et après une douche chaude, elle partit chercher son carnet qu'elle avait laissé à la cave. L'endroit lui inspira un profond dégout, elle se hâta de prendre le cahier et de retourner dans la cuisine où se trouvait son père, la tête penché sur un plan et un crayon à la main.  

  - Quand partons-nous ? Demanda-t-elle froidement.

- Cette nuit pour plus de discrétion, personne ne viendra aujourd'hui, je suis en train de chercher des endroits sûrs, répondit-il fière de son plan.

Elle se contenta de hocher la tête et partit chercher quelque chose à grignoter dans le frigo. Elle se fit un sandwich au fromage et l'engloutit en un éclair, elle s'en refit un deuxième et l'engloutit également. En jetant un rapide coup d'œil à son père, elle vit qu'il était toujours concentré sur ses recherches, elle en profita pour sortir en lançant une vague « je vais dans le jardin. ». Arrivé devant le cerisier, elle s'assit confortablement.

- Salut maman, commença-t-elle, je sais que tu ne m'attendais pas de sitôt, mais il s'est passé tellement de choses en une durée de temps si courte. Hier soir, papa m'a battu, encore aurais-tu dit, sauf que cette fois, c'était si différent. Ça force était différente. Comment décrire ça ? Ça me semblait être la force du désespoir, celle que tu utilise seulement quand tu sens que c'est la fin, celle que tu utilise pour te battre contre la mort, jusqu'à ton dernier souffle. Et je pense que c'est ce qui s'est passé. Il est mort d'une certaine façon. Pour renaître en homme changé. Parce que oui, il a changé. Il est devenu plus juste, moins violent, en tout cas, je l'espère. Ce matin, j'ai eu la chance d'apercevoir un fragment du nouveau lui, mais il m'en reste encore beaucoup à découvrir.

Kiona resta encore longtemps à parler à sa mère, cela la soulageait, elle se sentait écouter. Plus que l'écriture cela la libérait d'un poids bien trop lourd à porter à elle toute seule. Lorsque le jour commença à décliner, elle salua sa mère. Pour la dernière fois, songea-t-elle tristement. Une larme coula sur sa joue. Même si sa mère était partie depuis longtemps, cet arbre permettait à la fillette d'être plus proche de sa génitrice. Comme si un lien invisible lui permettait de communiquer avec elle. Elle essuya l'unique larme qui avait dévalé sa joue et repartit vers la maison. En entrant elle aperçu son père en train de s'activer pour finir de préparer leur évasion. Car certes, c'était leur maison, mais il allait partir et devenir des fugitifs en quelque sorte, c'était donc bien une évasion. Encore une fois, elle vit l'ampleur du sacrifice qu'il s'apprêtait à faire pour elle.

- Veux-tu de l'aide ? Demanda-t-elle un peu moins froidement que la dernière fois, mais froidement tout de même.

Son père la regarda et sourit

- Bien sûr, tu peux me passer les affaires qui sont là ?

Il lui désigne un tas d'objets. Elle hocha la tête et commença à lui passer le matériel qu'il mettait dans un sac à dos de randonner. Tout deux se taisaient. Le silence était pesant. La jeune fille aurait aimée que le lien si beau et si fort qui les unissaient autrefois ne soit pas gâché, qu'ils continent à monter à cheval le samedi, qu'ils aillent encore se promener dans les champs, qu'il lui montre les différents légumes qui se trouvaient dans leur potager... Mais ce lien avait été coupé le jour où il avait pour la première fois levé la main sur elle. Certes, il pourrait se reconstruire, mais il serait toujours fragile, elle aurait toujours des doutes et des peurs. Il faillait se rendre à l'évidence, jamais plus elle n'aura entièrement confiance en lui. Cette pensée la désola, mais elle ne laissa rien paraitre en passa la dernière babiole à son père, une lampe torche. Son géniteur tourna la tête vers la fenêtre et dit :

- Nous allons partir, il fait suffisamment sombre, as-tu tout pris ?

La tristesse dans sa voix était palpable. Elle hocha la tête et prit son sac pour le mettre sur son dos. Ils se dirigèrent vers la sortie et sur le pas de la porte, ils regardèrent leur maison une dernière fois. La maison dans laquelle ils avaient tout vécu ici, la joie, la peine en passant par la haine et la douleur. Toute sorte de sentiments et de moments. L'homme ferma la porte et Kiona paniqua. Pour la première fois depuis ces dernières 24h, elle prit conscience de toute l'importance de ses propres actes. Elle ne reverrait surement jamais sa maison ni sa mère. Elle eut l'impression qu'elle laissait tous ses souvenirs ici, toute sa courte vie. Elle se rendit compte que là à cet instant précis, sur les marches de sa demeure, un nouveau chapitre de sa vie commençait et que pour ça elle devait tourner la page, sans oublier tout ce qu'elle avait vécu jusqu'à présent. Il fallait qu'elle fasse face à son destin pour pouvoir l'écrire.

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