Chapitre 18 - Sytris

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Les esprits mineurs sont souvent dénués d'intérêt pour de nombreux points: la plupart sont idiots, hautains, pernicieux et vulgaires. Mais s'il y a bien quelque chose qu'on ne peut leur reprocher, c'est leur vitesse.

Même moi, qui suit une Sylphe de classe intermédiaire (et donc qui bénéficie d'une célérité non négligeable grâce au vent), j'ai eu du mal à dépasser Jurios.

Dès que j'ai vu dans quelle direction l'Efrit se dirigeait, j'ai tout de suite compris où il souhaitait se rendre. À l'Ouest, dans les Terres Blanches, hormis quelques canyons hostiles à toute forme de vie et de vastes déserts de sel, il n'y a qu'une seule chose intéressante: le Palais de marbre.

C'est un bâtiment qui n'a rien à envier à la splendeur de Tal-Jinn; grand, majestueux, il s'élève au beau milieu du désert. C'est plus un temple qu'un palais, d'ailleurs. Son origine doit être très ancienne, chacune de ses colonnes est finement ciselée de hiéroglyphes inconnus.

Je m'y suis déjà rendue de nombreuses fois; un de mes amis traîne souvent là-bas. Il se nomme Sytris. C'est un Sylphe, et il possède le même rang que moi. Comme avec Lili, je suis très proche de lui et nous avons vécus de nombreuses batailles et autres épopées ensembles.

Je fixe l'horizon, volant à une vitesse moyenne pour ménager mes efforts. De toutes façons, Jurios va forcément faire de même: voler à vive allure sur de longues distances demande beaucoup trop d'énergie. Je réfléchis, sous la forme d'une élégante petite volute de fumée violine.

C'est tout de même plus discret qu'une voleuse dotée d'ailes en or.

Si je maintiens mon allure, il ne me faudra que quelques heures pour atteindre le Palais de marbre. En tout cas, j'y serai bien avant le lever du soleil. Jurios doit être à une bonne distance derrière moi à présent, et je profite de ce long moment de répit pour tenter de deviner ce que cet Efrit manigance.

Grâce à mes facultés cognitives exceptionnelles, j'ai émis d'innombrables hypothèses, toutes plus brillantes les unes que les autres.

Néanmoins, l'une d'entre elles me semble être la bonne: Sytris est un Djinn connu pour son immense savoir. Beaucoup de personnes viennent le voir pour lui demander des conseils: c'est un grand amateur d'artefacts anciens.

Il est certainement l'esprit le plus à même de savoir où se cachent les parchemins et autres formules magiques, dont celle du talisman que possède Chahine et qui permettrait de réveiller la créature qui sommeille dans le pendentif. Il connaît peut-être même la formule.

J'ai donc l'intention de me rendre dans le Palais de marbre, de tomber sur le râble de Jurios et de lui régler son compte, puis de demander moi-même à mon vieil ami où se trouve cette formule. Tout un programme.

Un bon quart de nuit plus tard, j'arrive au temple. Ses colonnes et ses ornements sont enveloppés dans la douce lueur argentée de la Lune. Sans bruit, je jette un coup d'œil à l'intérieur du bâtiment: une silhouette perdue dans les ténèbres somnole. Pas de doutes, c'est Sytris.

Aussi silencieuse qu'un chat, je me poste sur la volée de marches qui mène dans la salle, et adopte l'apparence d'un jeune homme élancé aux cheveux rasés, vêtu d'un pagne blanc brodé d'or, à la peau noire et aux yeux noisette. Je suis la copie conforme de mon cher ami qui dort à quelques mètres de moi.

Immobile, j'attends que l'autre crétin arrive.

Je ne tarde pas à voir arriver un petit singe ailé se diriger vers moi. Je reste impassible. Il se pose sur les marches, l'air de rien, et plante son regard dans le mien. Soudain, la colère fait rage dans mes veines: j'ai envie de me battre.

Il n'a pas le temps d'ouvrir la bouche: c'est un imposant guerrier-léopard qui lui tombe dessus à bras raccourcis, et lui décoche un solide coup de poing au ventre. Après autant de temps passée enfermée dans un temple, j'ai vraiment besoin de passer mes nerfs sur quelqu'un.

Le singe dégringole les marches queue par-dessus tête. Mais visiblement, il sait se battre: il se réceptionne en bas des marches, et à peine debout il me balance déjà une gerbe de flammes en hurlant de rage.

Trop frustrée pour esquiver, j'encaisse l'attaque, et accomplis une pirouette avant de lui atterrir dessus. Pour cette occasion, j'ai pris soin d'ajouter à mes pattes arrières de grandes sandales. Elles s'accommodent à merveille au visage de Jurios, qui se retrouve écrasé sous plusieurs centaines de kilos de muscles et de poils.

Je m'amuse quelques instants à lui refaire le portrait à grands coups de lames de vents et de semelles, puis le prends par la gorge et gronde:

« Laisse tomber, petite raclure, tu vas finir en ragoût. »

Jurios émet un gargouillement en guise de réplique. Sans bruit, je me dirige vers l'édifice, je soulève avec maintes précautions une des colonnes du temple, et place délicatement le petit Efrit en dessous. Puis je repose la colonne. Peut-être est-ce mon imagination, mais j'ai eu l'impression d'entendre un couinement. En tout cas, ma colère s'apaise petit à petit.

Soudain, une silhouette émerge du Palais de marbre, visiblement mal réveillée, et de mauvaise humeur:

« Kalahares, il n'y a qu'une personne pour foutre autant le barouf en pleine nuit, et c'est toi!

- Sytris,s'exclame le léopard d'une voix aiguë, quelle joie de te revoir! »

Après une courte dispute sur les principes de la bienséance et du respect de ceux qui dorment, le Sylphe finit par se calmer, et je reprends la forme de la voleuse aux yeux d'acier. Je lui expose rapidement la situation.

« Un talisman en lapis-lazuli couvert d'inscriptions, répète Sytris d'un air songeur, qui renfermerait un puissant Djinn... Tu sais, Kal', il y en a pleins des bijoux de ce genre.

- Je me doutais bien que tu allais me dire ça... Mais ça ne te dis rien, vraiment? C'est Kasga le Dément qui se trouve dans le bijou.

- Oh, Kasga... Si tu me dis que le talisman se trouvait dans le Temple de la Justice, c'est très probable que le Roi Ismeth possède encore la formule qui allait avec. Certainement dans ses quartiers privés, là où il aime contempler ses trophées de guerre. C'est curieux que personne n'ai remarqué ce talisman, tout de même... Enfin, s'il prenait la poussière depuis plusieurs années, ça peut se comprendre. »

J'acquiesce, sans préciser que j'ai déjà tenu ledit talisman dans les pattes sans me rendre compte de rien. Je m'apprête à le remercier avant de me tourner lorsque Sytris m'interrompt en posant sa main sur mon épaule:

« Tu crois que je vais te laisser repartir comme ça? Je t'accompagne. Non, déclare-t-il d'un ton sans retour en me voyant protester, inutile de me faire la morale. Toute cette histoire pourrait très bien me nuire à moi aussi. Et puis, je ne vais pas laisser une copine affronter Kasga toute seule. Allez, en route! »

Je souris, soulagée. Jamais je ne lui aura demandé de m'aider, mais je l'espérais vraiment. Sytris nous apportera un soutien précieux.


Les deux Sylphes s'envolent, côte à côte, et s'éloignent dans le ciel piqueté d'étoiles.

 Au Palais de marbre, une patte au pelage roux, en fort mauvais état, surgit au pied d'une colonne.


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[Tamarin - by Karikinet]

Une pensée pour Jurios... Quoique non, on l'aime pas lui.

Alors, même si on vient à peine de le voir, que pensez-vous de Sytris? Vont-ils arriver à temps à Tal-Jinn avant que Chahine ne passe à l'action?

Laissez vos avis en commentaire, bonne journée à vous ;)

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