Les images revenaient me hanter. La culpabilité... Je suais de toutes les pores de ma peau et me débattais sous les couvertures, totalement paniquée, quand la main de Gaël vint secouer mon épaule.
-Jade ! Réveille toi Jade !
J'ouvris les yeux dans un sursaut. Les larmes inondaient mes joues. Voyant que je peinais à respirer, il ajouta :
-Calme toi, ce n'était qu'un rêve.
-Non, affirmai-je, le souffle court. C'était loin d'être un simple cauchemar, et tu le sais Gaël.
Il me fit oui de la tête, le regard triste, avant de me prendre dans ses bras. Une bouffée de chagrin me reprit sur le champ et je le serrai plus fort encore, enfouissant ma tête dans son cou.
-Merci d'être là, lui murmurai-je à l'oreille.
-Je ne pourrais pas faire autrement.
Il déposa tendrement ses lèvres sur les miennes, et tandis que les papillons prenaient d'assaut mon bas ventre, je revivais l'horreur, comme dans un rêve.
La voiture. Le feu rouge. Sa folie. Puis le toit. Ma folie. Et son corps qui tombait, tombait...
Encore plus bas. De plus en plus bas.
La tristesse sans nom que je ressentais.
Et la blessure toujours ouverte, telle une plaie béante au plus profond de mon coeur, que plusieurs assassins se seraient amusés à poignarder, coup sur coup, l'un après l'autre, et qu'un chirurgien aurait oublié de recoudre car sa petite fille pleine de joie de vivre attendait qu'on vienne la chercher à l'école maternelle.
Pauvre choue.
La voix de ma mère me tira brusquement de mon sommeil agité.
-Tu as cours, Jade, lève-toi vite !
-Putain...
-Tu n'as pas entendu ton réveil ?
Seul mon grognement excédé, étouffé dans l'oreiller, lui répondit. Ce n'était qu'un camouflage, une ruse pour tenter de reprendre contenance après cet énième cauchemar. Mon passé, violent, ne cessait de me hanter, encore deux ans après.
Comme je ne bougeais pas, telle une adolescente amorphe et malgré la lumière allumée, ma mère soupira et sortit de ma chambre.
Je m'assis alors sur le bord de mon lit, essuyai mes larmes d'un revers de couette et me mis une claque.
Oui, une claque.
Ça m'arrive souvent, pour chasser les idées noires et me réveiller. Pas devant les autres évidemment, mais bon...
-Jade !
-Je me lève !
Qu'est-ce qu'elle avait donc à être comme ça sur mon dos, ce matin ? Elle qui d'ordinaire n'était jamais là, m'oubliant presque.
Je me levai tranquillement, jetant un coup d'oeil à mon réveil: sept heures pile. Je serais en retard. Tant pis.
Attrapant short en jean, top et collant, je partit me doucher, puis m'habiller.
Oui je sais ce que vous allez dire: un short en octobre, mais tu vas pas bien ? Sauf que je n'ai pas froid. Ne me demandez pas pourquoi, je ne saurais vous répondre. Seulement le fait est qu'en plein hiver, je suis tout à fait capable de débarquer au lycée en jupe et de ne pas grelotter une seconde. Allez savoir pourquoi !
Une fois habillée, mon téléphone affichant déjà sept heure trente, je commençai à sécher ma tignasse brune, puis à la lisser. J'atrappai une craie pour cheveux rouge, et me colorai rapidement mais sûrement une large mèche, en accord avec mon haut, aux couleurs du drapeau états-unien. Oui, je n'aime pas dire "américain" car ce n'est pas le terme exact, cela flatte leur égo, et puis ça ajouté un petit côté "cultivé" à mon rôle de tous les jours.
Ceci fait, je passai au maquillage. Eye liner, quelques paillettes sur les paupières et mascara en force, puis rouge à lèvres. Du fond de teint également, très peu sur le visage, plus sur le bras, camouflant les anciennes traces de bleus, vestiges de sa visite. Mon T-shirt, avec une manche longue et l'autre style débardeur, faisait déjà le gros du travail. Il cachait astucieusement le bras le plus amoché par les bleus et autres coupures...
Je pris également soin de dissimuler correctement mes cernes puis, voyant l'heure tourner autour des trois quarts, je récupérai rapidement mon sac Longchamp, glissai un paquet de barres chocolatées à l'intérieur lors de mon passage à la cuisine, et me dirigeai vers l'entrée, où j'enfilai mes bottines et ma mini veste noires.
Alors que j'ouvrais la porte, clé en main, pour sortir, ma mère me cria depuis la salle de bain :
-Passe une bonne journée !
-Euh... Ouais, toi aussi, répondis-je hésitante, peu habituée à ce genre attitude.
Elle, elle a vraiment un truc à cacher.
Déjà huit heures, je pris sans me presser sur le chemin de l'arrêt de bus et montai dans celui de 8:06. Dans environ dix minutes, je serais au lycée.
Je lançai ma playlist favorite et tentai de rattraper ma nuit, pour changer, insomniaque. Mais même la journée, dormir restait une épreuve presque insurmontable pour moi depuis cette période.
La nuit, dès que j'essayais de fermer les yeux, les images revenaient, s'imposant malgré moi à ma rétine. J'étais perdue dans mes folies, dans mes enfers. Les vieux démons me hantaient et je finissais souvent, quand je n'étais pas en soirée, par déambuler seule dans les rues, silencieuse, telle un fantôme. Parfois il m'arrivait de crier, de m'énerver, de frapper les objets qui passaient à ma portée, de casser les fenêtres. Parfois je ne faisais qu'errer sans but, chantonnant ou chantant, dansant, escaladant les arbres, prenant le bus jusqu'à la forêt ou jusqu'au cimetière.
Parfois, un couteau à la main, je cédais à mes pulsions...
Et quand enfin, rarement dans mon lit, je parvenais à m'endormir sans l'aide des somnifères, sans cesse les cauchemars venaient troubler mon sommeil.
-Prochain arrêt, Pavé Romin, grésilla la voix du haut parleur du bus.
Je pressai le bouton rouge près de moi pour demander l'arrêt et montai le son de ma musique. Kurt Cobain hurla à mes oreilles.
Oui, ça peut faire bizarre d'écouter Nirvana à 17 ans en 2016, mais à mes yeux Smells Like Teen Spirit était une chanson totalement intemporelle.
_With the lights out
_It's less dangerous
_Here we are now
_Entertain us
_I feel stupid
_And contagious
Le bus s'arrêta et je me levai, comme dans un brouillard, tandis que la voix de Kurt poursuivait dans ma tête.
_Here we are now
_Entertain us
_A mulatto
_An albino
_A mosquito
_My libido
_A denial, a denial
_A denial, a denial
_A denial, a denial
_A denial...
Fin de la chanson, je me retrouvai devant la grille du lycée avec à peu près un quart d'heure de retard. Je sonnai, entrai et zappai l'étape "vie scolaire" pour me rendre directement dans ma salle de cours, au dernier étage.
Je m'arrêtai quelques secondes en haut pour reprendre mon souffle après avoir monté les escaliers coupe-jambes du bâtiment E. Secouant mes cheveux ébènes et les remettant en place, je collai un sourire faux sur mon visage avant de toquer et d'ouvrir la porte.
-Excusez moi monsieur, le bus avait du retard.
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Populaire [ EN PAUSE ]
Teen FictionL'histoire est simple. Enfin, selon Monsieur tout-le-monde, l'histoire est simple. C'est une ado, c'est une peste, une pétasse, elle n'a aucun sentiment. Elle est populaire, et c'est tout ce qui compte à ses yeux. Les autres, rien à foutre. Elle e...