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            J'aimerais dire que c'était un sommeil sans rêve. Mais non. J'ai rêvé. D'un rêve dont je me serais bien passée. Pourtant, c'était agréable. Mais je m'en sens tellement coupable. J'ai beau me dire que ce n'est qu'inconscient, que je ne peux pas contrôler mes nuits, je sais bien qu'il traduit mes désirs refoulés. Je dois avouer que pour le coup, le cours de philo m'a été utile. Si les désirs refoulés, gravés dans notre inconscient, selon le grand et très sage Freud, s'expriment à travers nos rêves et nos actes manqués, qu'est-ce qui me dit que je ne vais pas subitement appeler Kenan « Monsieur Sexy » ? Dans mon rêve, j'étais dans des bras forts, chauds et réconfortants. J'étais bien, si bien. Ces bras me serraient, fort. Pas pour me faire mal, non, pour échanger un désir partagé. Dans ce rêve, des choses se sont passées, ce genre de choses qu'on n'avoue jamais autrement qu'une bouteille à la main pendant un « je n'ai jamais ». Je ne ressentirais nulle culpabilité si ces bras avaient appartenu à Kenan. Mais non, c'était ceux du beau gosse du bar. Pourquoi rêvé-je de lui ? Je croyais m'être pourtant bien mise d'accord avec mon subconscient : ce n'est qu'une rencontre « d'un soir », que je ne reverrai jamais. En me torturant les méninges, je comprends que je peux interpréter ce rêve de deux manières : soit il est la traduction de mon envie de revoir le mystérieux inconnu, soit l'expression de ma culpabilité après le moment passé avec Kenan hier. Je préfère opter pour la seconde option. Je décide d'enfermer ce sentiment au plus profond de moi et de l'oublier. Je n'ai rien fait de mal. Qui me dit que Kenan ne flirte par lui aussi, quand je ne suis pas là ? Ça pourrait bien expliquer ses sautes d'humeur. Non. Je ne peux pas rejeter la faute sur lui, pour me sentir plus sereine. Il m'a bien prouvée, hier, qu'il tenait à moi. Enfin, je crois. Et quand bien même ce ne serait pas le cas, n'est-ce pas le grand jeu de la vie ? Tenter sa chance jusqu'à tomber et se faire mal. Mais il parait que l'important, ce n'est pas de se garder de la souffrance mais de vivre assez pour ne rien regretter. Ne pas s'en vouloir de ne pas avoir pris les occasions lorsqu'elles se présentaient. Pour, lorsqu'on fera le bilan de notre vie sur notre lit de mort, se rappeler qu'on aura tout tenté pour vivre à fond. Qu'on n'aura pas seulement vu la vie passer, en spectateur, mais agit sur elle. Si vivre n'a au final aucun but, autant la rendre la plus belle possible et profiter d'être sur terre tant qu'on y est, non ?

          En ce samedi matin, je n'ai rien de prévu. J'envisage de passer la matinée au lit. Ça me paraît être un plan assez agréable. Ne rien faire pendant quelques heures, si ce n'est flemmarder, au frais sous mes couvertures. C'est paradoxal, non ? En fait, ma couette est aussi chaude l'hiver qu'elle est fraîche en été. Et douce aussi. Ce qui, ma foi, est assez pratique. Donc, ce matin, je ne fais rien. Enfin, c'est ce que je comptais faire. C'était ce qui était prévu jusqu'à ce que je reçoive un sms. Qui peut bien m'envoyer de message un samedi matin, à dix heures. Est-ce que la plupart des gens ne dorment pas, à cette heure-ci ? Non ? Bon. Moi si. Je décide d'attendre un peu avant de regarder mon téléphone. J'ai la flemme de tendre le bras. Oui bon, chacun ses défauts hein. Après une dizaine de minutes à me torturer mentalement à propos de l'expéditeur, je me décide enfin à regarder mon téléphone. C'est Anita, qui me propose une sortie entre filles.

          Depuis quelques jours, je ne vois plus Kenan. Est-ce qu'il m'évite ? Je n'ai pas envie de l'accuser à tort. Anita et Rebecca m'ont conseillé de faire attention. Juliette m'a poussé à le garder comme sex-friend.

          —Tant que ça va côté sexe, tout va bien, m'a-t-elle proclamé d'un air de grand prédicateur.

          Camille a eu l'air passablement intéressé par la conversation. J'ai cru, à un moment, qu'elle allait ajouter quelque chose, mais elle s'est contentée de hocher la tête. Je suppose que Juliette plaisantait. Ou pas. La connaissant, il se peut qu'elle ait été tout à fait sérieuse. Kenan, un sex-friend ? Je suis sûre que ça lui plairait. Mais il ne faut pas abuser. Je n'ai pas besoin de ça. Et puis quoi encore ? Anita a fait les gros yeux à Juliette. Celle-ci a haussé un sourcil d'un air de dire « je ne vois pas de quoi tu parles ». Ou bien « tu sais que j'ai raison, ne fais pas ta prude ». Rebecca a préféré ne pas s'en mêler, s'est contentée de secouer la tête d'un air désespéré. Il faut dire qu'on la connaît, notre Juliette, et on ne la changera pas. Quoique je ne suis pas sûre d'en avoir envie. Si elle n'était pas là, on serait passé à côté de bon nombre de situations gênantes, certes, mais à côté de beaucoup de fous-rires aussi. Quant à Camille... Eh bien je ne sais pas quoi dire. On pourrait croire qu'elle est muette. Elle rit peu, elle parle peu, elle est constamment effacée. J'ai de la peine pour elle, je me demande si elle se sent bien en notre compagnie. Le seul qui semble pouvoir la faire s'ouvrir est Alexis. Et lorsqu'il n'est pas là, elle redevient totalement invisible. Ça doit être dur de vivre ainsi.

Choisir : vt. Exercer son jugement, [...]Where stories live. Discover now