IV

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La plaine était calme et silencieuse. Le soleil tirait lentement sa révérence dans l'horizon orange et rose de cette soirée d'été. Perché en haut de la petite colline qui surplombait les immenses champs de blé et notre modeste petite maison de bois, mon père était accroupi devant moi, le regard prévenant.

- Concentre toi, Julia. Ne pense plus.

Il sortit un morceau de tissu de sa poche, se leva et ajouta :

- Tu es prête.

Il accrocha le tissu rouge autour de ma tête et le plaça devant mes yeux.

- Comment je vais faire si je ne vois rien , papa ? demandais-je, troublée.

Il ne répondit point et tourna d'un pas lent autour moi.

- Prochaine leçon : l'écoute, lança t-il.

Les hautes herbes craquaent sous les bottes de mon patriarche. Ma vision était morte, et je sentais mon cœur battre la chamade. Tous mes repères avaient disparu.

- Tend l'oreille, mon trésor. Familiarise toi au son de mes pas. Tu doit apprendre à contrôler tes sens.

Sur ce, il s'arrêta.

- Où suis-je ? demanda-t-il.

- Je...je ne sais pas, bafouillai-je en tendant les mains devant moi.

J'étais dans le noir total, complètement déboussolé. J'avais l'impression d'avoir perdu un membre de mon corps et ne savais comment réagir. Ces longs entraînements étaient monnaie courante depuis de nombreuses années. Pourtant, jamais mon père ne m'avait confrontée à une telle difficulté.

- Où suis-je ? Insista-t-il d'une voix grave et douce.

Je pris une profonde inspiration et me vidais l'esprit. Je ne voulais sous aucun prétexte décevoir mon père. Lui qui était mon meilleur ami. Il était si intelligent, si fort et si aimant. Je levai la tête vers le ciel et retenais ma respiration. J'entendais le sifflement du vent, les battements d'ailes des oiseaux et les cris réguliers des criquets qui annonçaient à la faune la tombée de la nuit. Soudain, je repérai le son, presque inaudible, d'un souffle régulier à ma droite. Était-ce lui ?

- Droite, hésitais-je.

Sans un mot, mon père reprit sa ronde en s'arrêtant des dizaines de fois. Je me trompais, au début, mais persévérerais à mesure que les heures passaient.

- Dernière exercice : L'esquive.

Mon père se plaça en face de moi et claqua des doigts. Je sursautai.

- Réagis vite, ajouta-t-il, pense vite et suis ton instinct. 

Les coups seraient assez forts pour que je les ressentent, mais pas assez pour que j'en souffre. Un coup s'abattit sur mon épaule. Je n'avais pas réussi à esquiver son attaque.

- Concentre toi, mon ange. Écoute mes mouvements trancher l'air, insista mon père.

Suivant ses conseils, je me vidai l'esprit pour ne laisser place qu'à une intense concentration. Comme si le temps avait ralenti, j'entendis l'air se fracasser en face de mon front. J'esquivai en me baissant et contre-attaquai en projetant mon pied en avant. Ce dernier frappa le torse de mon père. Puis, connaissant la grandeur de mon adversaire, j'écrasais mon poing sous son menton.

- Parfait ! Cria ce dernier.

- Toujours frapper deux fois, me rappelais-je. C'est toi qui me l'a appris.

- Plus vite, maintenant. Inspire.

J'inspirai profondément et contrai l'attaque suivante avec la vivacité d'un félin, puis la suivante et toutes celles qui suivirent. Ce bout de tissu épais me privait de ma vision, et, pourtant, je sentais tous mes autres sens se développer à une allure étonnante. À quinze ans à peine, je faisais preuve d'une maîtrise du combat ahurissante, et ce grâce à mon père, le plus grand soldat de tous les temps.

La nuit était déjà tombée quand il me retirait le tissu des yeux. Ses longs cheveux noirs, parsemés de mèches grises, volaient au contact du vent. Il avait une barbe épaisse qui lui recouvrait toute la mâchoire - ce qui déplaisait beaucoup à maman -. Son immense sourire faisait apparaître des rides au coin de ses yeux. Je riais aux éclats en sautant sur place, fière de ma performance. Je prenais soudain un air sérieux et plaçais mes poings devant mes yeux.

- Êtes-vous de taille à me défier, Julius le sanguinaire ? lui demandai-je en souriant.

- Ne m'appelle pas comme ça ! grogna-t-il en me pointant du doigt, les yeux soudains remplis de souvenirs.

Je baissais la tête et croisais les bras. Mon père attrapa mon menton et releva mon visage. 

- Tu as un don, murmura-t-il en secouant la tête, le regard aimant.

- Non, répondis-je, je t'ai toi.

Il ria en ébouriffant mes cheveux et se coucha sur l'herbe humide, les mains derrière la tête. Je l'imitais. Les étoiles étaient magnifiques. Elles brillaient de mille feux et éclairaient toute la plaine. Mon père pointait certains amas d'étoiles, m'apprenant le nom et la signification de dizaines de constellations, les yeux émerveillés. Soudain, mes entrailles ce tordaient et ma poitrine se compressais. Dans un souffle brûlant, la voûte céleste se consuma sous des flammes destructrices, pétrifiant mon corps d'effrois. Des cris de nouveau né, aigus et perçants, envahissaient mes oreilles. Le corps de mon père se transformait subitement en torche humaine. Tout autour de moi n'était que chaos. Cet endroit magique disparaissait sous les flammes. Je hurlais à plein poumons, les mains serrées contre les tempes.

Je me réveillai en sursaut dans une cellule éclairée par une lumière timide. J'avais presque oublié la situation dans laquelle je me trouvais. Les Ultimum. Je touchais du bout des doigts la peau sèche et rugueuse de mon dos, la respiration haletante. Des gouttes de sueur perlaient sur ma colonne vertébrale. En dessous de la fenêtre, Marcus épongeait le sang de son dos. Son regard rencontra le mien, et un sourire se dessina aux coins de ses lèvres.

- Bien dormis ?


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⏰ Dernière mise à jour : Aug 05, 2016 ⏰

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