On se sent parfois bien seul, ici-bas.
Il y songeait le long de sa marche. Les ruelles plongées dans l'obscurité nocturne lui tendaient les bras, l'air glacial l'enserrant dans une étreinte froide et émouvante. Le parfum lourd des villes endormies s'engouffrait dans ses poumons avides.
Il se sentait si bien, la nuit.
Quand tout s'effaçait sous ses yeux écarquillés. L'enfant blessé en lui rêvait que dans le noir, on ne pouvait le voir. La nuit le rassurait, le portait, l'enlaçait doucement. Il était seul, sans personne pour lui jeter un regard effrayé, méfiant, inquisiteur ou méprisant.
La solitude...
Il essuya distraitement une larme s'échappant du coin de son œil. Comment définir la solitude ? Elle était ancrée en lui, puissante, chaîne impossible à rompre qui avait rythmé sa vie et les automnes. Elle battait en lui comme un second cœur, tellement forte que parfois, il ne pouvait contenir la douleur qu'elle lui provoquait.
La solitude, donc.
Il l'avait d'abord fui. Longtemps. Dans les jeux des enfants cruels, d'abord. Quitte à se faire bousculer, insulter, il venait implorer leur compagnie. Mais on le trouvait étrange, à regarder chacun avec ses grands yeux, comme constamment effrayé. Et puis, il état un peu plus gros que la moyenne, cela lui attirait les moqueries.
Et puis...
Y a-t-il vraiment besoin d'une raison pour être hué ?
Peut-être devait-il être méprisé par les autres enfants. D'où viendrait cette particularité, impossible à se défaire ? De son sang ?
Il était aussi rouge que celui des autres.
Au fil du temps, il avait fini par la revendiquer, la solitude. « Regardez-moi ! Je suis seul. Et c'est mieux, ainsi ».
Avaient commencées les longues nuits en solitaire. Le cinéma était venu se glisser près de lui, pour l'accompagner, pour éviter qu'il se perde dans la folie, soigneusement entretenue par ses proches. Sa famille.
Sa famille !
Il vacilla, s'appuya brièvement au mur. Reprit son chemin. Comme si rien ne pouvait l'arrêter.
Aveugle, destructrice, qu'il aimait autant qu'il haïssait, qui l'avait détruit autant qu'il l'avait détruite. La différence, entre eux deux, c'était que lui marchait encore. Mais mort, il avait l'impression de l'être.
La solitude, il avait fini par s'y habituer. Il l'effleurait du bout des doigts, s'imaginait qu'elle était son unique compagne, la plus fidèle. Avec le cinéma, ils pouvaient former un beau trio.
Et peu à peu, il s'était aperçu que la nuit n'était pas une amie. Elle s'était d'abord faite réconfortante, cachant ses larmes, illuminant les passages ou ombrant les chemins. Mais, lunatique, elle s'était retournée contre lui.
La nuit l'avait dévoré, parachevant l'œuvre accomplie par ses parents et les autres enfants. Livré à lui-même, elle avait tiré de son être ses plus sombres pulsions, qui auraient pu rester inconnues, enfouies, si... On n'avait pas fait de lui ce qu'il était aujourd'hui.
La nuit.
Il ne parvenait toujours pas à la haïr.
Cela lui était venu... Comme ça. Il marchait, jeune ado, dans les rues de la ville, fuyant sa maison. Il était près de deux heures du mat, et les lampadaires accompagnaient ses pas. Il pensait à ses parents, et cette haine mêlée d'amour battait dans ses veines.
Et, brusquement, lui étaient venu de curieuses images.
Une odeur.
Des sensations.
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Seuls ici-bas
Kort verhaalOn se sent parfois bien seul, ici-bas. Comme si, dans nos veines, quelque chose nous condamnait à l'errance. Mais il faut avancer. Essayer... Ou tomber.