~ Partie III ~

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20 mars 2000

Des piaillements d'oiseaux, une grenouille sautant dans l'eau, des brins d'herbe me chatouillant les pieds, des rayons de soleil réchauffant mon corps : voici mon bonheur. Allongée sur l'étendue verte encore mouillée par la rosée, j'écoute. Les yeux fermés, je profite de chaque son que m'offre la nature, un léger sourire aux lèvres. Un peu plus tôt, j'étais en cours, un endroit rempli de bruits tous plus stridents et assourdissants les uns que les autres. Je m'étais doucement éclipsée de mon collège en fin de journée afin de rejoindre le parc de la rue d'en face. J'avais filé à perdre haleine vers un vieux chêne aux feuilles verdoyantes que le soleil rendait presque dorées. Épuisée, j'avais laissé tomber mon sac de mes épaules et s'écraser contre le tronc sinueux de l'arbre, puis je m'étais installée sur la pelouse. Mon rythme cardiaque ne s'était pas immédiatement calmé et quelques gouttes de sueur perlaient sur mon front.

Quelques minutes après, je suis dans un autre monde. Je rêve de mélodie, de douceur, de chaleur, ce qui me fait oublier tous mes soucis de la journée. Et puis lorsque je me sens prête, je me relève, prends mon sac et rentre en marchant chez moi. Je passe la porte métallique de notre vieil immeuble, monte les deux étages qui me séparent de mon appartement et appuie sur le bouton de la sonnette. Impatiente, je sonne une seconde fois. Mon grand frère m'ouvre, ses cheveux en bataille et son regard dans le vague suffisent à révéler où il se trouvait quelques instants plus tôt. Je le salue d'un discret hochement de tête et me dirige sans plus attendre vers ma chambre. Une nouvelle fois, mon sac se retrouve délaissé, à l'abandon dans un coin de la pièce pendant que j'ouvre un étui noir à la forme caractéristique. Je sors délicatement l'archet, le caresse du bout des doigts et examine les crins. Ils sont assez blancs, la colophane n'est pas utile. Je le replace dans la boîte et j'oriente à présent mon regard vers le bois aux élégantes courbes. Je peux imaginer la musique résonnant à travers la caisse, s'échappant par les deux ouïes, et finir sa course dans mes oreilles. Je soulève avec une infinie douceur l'instrument par le manche, place précautionneusement un petit coussin près de la mentonnière et reprends mon archet. Je me tourne vers la fenêtre, qui me donne une vue peu attrayante sur le reste de la rue. Ne m'attardant pas sur les passants pressés de rentrer chez eux, je rassemble mon attention sur mon instrument, positionne habilement mes doigts fins sur la hausse de l'archet, dépose mon menton sur la mentonnière et cale ainsi le coussin sur mon épaule gauche. Ma main gauche peut ainsi se déplacer où bon lui semble sur le manche et la touche. Je me redresse, prends une grande respiration et me lance. Mes doigts font alors ce qui leur plait, mon archet danse entre les cordes, je suis projetée dans une dimension que je ne connais que trop bien, qui s'empare de mon esprit et remplit mon corps d'une toute autre énergie. Je ne fais qu'un avec mon violon, me déplaçant en accord avec la mélodie, reconnaissant la moindre note comme un souvenir agréable. Je passe en piano, le son se faisant doux et délicat, puis en forte de plus belle, sans oublier le sol dièse. Le chant des oiseaux se fait entendre, ils me saluent gaiement. Puis c'est au tour des ruisseaux, coulant à l'unisson leurs flots que l'on entend bruire... L'eau laisse la place au tonnerre et à la tempête, attention aux dièses do, ré, fa et sol ! Enfin, la douceur revient, les oiseaux chantonnent joyeusement, le thème principal est repris pour terminer en beauté. J'éternise le mi, le laissant résonner encore quelques temps dans mes tympans. "Le printemps" vient de s'achever. Je respire à nouveau, à bout de souffle. Malgré la fatigue, mon cœur déborde de gaieté et d'extase. Cette œuvre, je crois la connaître sur le bout des doigts, mais à chaque interprétation, il y a quelque chose qui la rend différente, ce qui n'est pas pour me déplaire. Vivaldi, un grand homme que je respecte énormément. Tous les jours, je le remercie intérieurement pour cette suite de notes qui en fait une histoire incroyable, ainsi que de me permettre de la jouer tout mon soûl, jusqu'à tomber d'épuisement.

Dans ces moments-là, après avoir achevé un morceau, je repense à ma mère et à son sourire, exprimant l'espoir et la confiance. Je repense également au fait que jamais plus je ne reverrai cette réconfortante expression sur son doux visage.

Chanson d'une vieWhere stories live. Discover now