~ Partie II ~

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20 ans plus tôt

"Encore maman, encore ! Joue encore pour moi !"

C'est au moins la sixième fois que je lui supplie de recommencer son morceau. Et sans faire paraître le moindre signe de refus, elle replace son violon au creux de son cou, positionne ses doigts autour de l'archet et m'embarque une fois de plus dans son tourbillon musical. Les yeux grands ouverts, je l'observe répandre ce sentiment de bien-être dans tous les recoins de la pièce, telle une immense vague de bonheur. Plus je la regarde, plus j'ai l'impression que son instrument fait corps avec elle. Comme s'ils formaient une seule et même personne à eux deux. Je pourrais l'écouter jouer pendant une journée entière sans ressentir le besoin d'aller manger ou me reposer. À la place, je me nourrirais de sa musique.

Ma mère est une violoniste professionnelle, et j'en suis très fière. D'après ce qu'elle m'a raconté, elle se serait attachée très tôt au monde musical. Son père était violoncelliste et, tout comme moi, elle adorait l'écouter interpréter des morceaux classiques mais également d'actualité. Ma mère a décidé vers l'âge de sept ans de commencer sérieusement un instrument. Mon grand-père s'était occupé de lui donner toutes les bases du solfège afin qu'elle puisse commencer à déchiffrer des partitions. Le jour où il fallut lui trouver son propre instrument, elle déclara que le violoncelle était trop imposant, et qu'elle préférait un instrument à cordes plus discret, comme le violon. Son vœu fut exaucé lors de son neuvième anniversaire, quand elle reçut en cadeau un splendide petit violon strié de zébrures au dos. Apparemment, elle se serait immédiatement réfugiée dans sa chambre pour l'essayer et les premiers sons qu'elle aurait tenté de faire sortir auraient plutôt ressemblés à des crissements qu'à des notes. Elle ne s'était pas laissée démonter et avait persévéré tout le long de la journée. Finalement, elle était parvenue à laisser glisser l'archet sur les quatre cordes. Ainsi, le sol, le ré, le la et le mi retentissaient dans toute la demeure. Depuis, il ne se passait pas un jour sans qu'elle ne toucha à son violon. Il était devenu l'une des choses la plus précieuse à ses yeux, comme une extension d'elle-même.

Et ce matin, en l'écoutant jouer, je me disais que l'histoire se répétait. Moi aussi j'avais une irrésistible envie de jouer du violon, de ressentir les mêmes vibrations, les mêmes sensations. Ma mère avait l'air tellement heureuse lorsqu'elle utilisait son instrument. J'avais à mon tour le désir de la faire sourire, avec ma propre musique.

"Maman, je veux jouer du violon moi aussi !"

J'avais patienté jusqu'à la fin du morceau avant de lui formuler ma demande. Ma mère n'avait rien répondu, elle avait simplement souri à la petite fille de neuf ans que j'étais et m'avait offert un regard rempli d'amour. Ce jour-là fut déterminant : il symbolisait mon entrée dans l'univers de la musique.

Chanson d'une vieWhere stories live. Discover now