La tentative d'intimidation de l'horrible créature à mon égard - plutôt concluante, je dois bien l'avouer -, me parut durer une éternité. Je n'avais vraiment pas le loisir d'éprouver de la honte, à peine ressentis-je un léger inconfort dans la tiédeur humide de mon pantalon. Mon être, dépouillé de la moindre étincelle de vie, n'était plus qu'un pantin en lambeaux échoué dans les abîmes glacials de la terreur.
Le monstre cessa enfin de rugir mais ne me quitta pas des yeux. Il releva la tête et ses naseaux se soulevèrent tandis qu'il reniflait l'air avec insistance. Puis, contre toute attente, il se détourna de moi et s'éloigna d'une démarche lourde, faisant trembler le sol à chacun de ses pas. Les vibrations, qui se propageaient par mes jambes pour venir chatouiller mes entrailles encore en désordre, s'estompèrent à mesure que l'énorme reptile s'enfonçait dans le lointain. Lorsqu'il ne fut plus qu'une forme indistincte à l'horizon, je me laissai tomber à genoux.
L'homme en blanc accourut immédiatement à mes côtés :
« Vous allez bien ? »
Il s'était fait tellement discret pendant l'incident que j'en avais oublié sa présence. On ne peut pas dire qu'il m'ait été d'une grande aide sur ce coup là, mais il n'en semblait absolument pas gêné. Se penchant vers moi, il poursuivit :
« Vous avez fait ce qu'il fallait, même si je devine l'incommodité dans laquelle vous vous trouvez désormais. »
C'est à ce moment précis que la honte m'envahit, faisant tressaillir la moindre parcelle de mon être. Je repoussai mon compagnon, me redressai, et m'éloignai en chancelant.
« Foutez-moi la paix ! »
Ma réponse avait le mérite d'être claire. Elle fut entendue.
Après quelques minutes à ruminer seul dans mon coin, je décidai de ravaler ma fierté. Entre les récents événements et la conversation qui les avait précédés, ma tête fourmillait de questions. Je songeai un instant à enlever mon pantalon. Il faisait toujours aussi beau, et j'aurais probablement été plus à l'aise une fois débarrassé de ce jean mouillé. Je révisai rapidement mon jugement : la perspective de me retrouver en slip devant un inconnu, au milieu de nulle part, n'était finalement pas plus réjouissante que celle de rester dans des vêtements imbibés d'urine.
« Quand vous aurez posé toutes vos questions, je verrai comment je peux vous dépanner. J'ai suffisamment de tissu sur moi pour nous habiller tous deux de la tête aux pieds. »
La perspicacité de mon compagnon ne me surprenait plus outre mesure. Je retournai m'asseoir au pied de l'arbre, et il me rejoignit.
J'avais tellement de questions que je ne savais par où commencer.
« Vous dites que j'ai fait ce qu'il fallait. Qu'entendez-vous par là ? »
J'imaginais que le fait de rester immobile m'avait sauvé la vie d'une quelconque manière. Mais je voulais entendre l'explication de sa bouche. Sa réponse fut pour le moins inattendue :
« L'activation de l'amygdale en vue d'une réponse combat-fuite est un réflexe de sauvegarde qui peut s'avérer parfaitement contre productif en cas de peur panique. Mais dans votre cas, elle vous a réellement sauvé, puisque le colosse reptilien a horreur des antibiotiques. »
Voilà une réponse qui, en d'autres circonstances, aurait pu paraître amphigourique. Mais je commençais à connaître le bonhomme et son incapacité à communiquer clairement. Il n'avait pas cherché à m'embrouiller avec des propos inintelligibles pour le plaisir, ni à se faire mousser en utilisant une figure de style fleurant la suffisance et l'autosatisfaction. Je me contentais donc d'insister, sans y aller par quatre chemins. Cela me semblait être devenu très rapidement une habitude avec lui.
« Expliquez-vous clairement. Votre réponse est incompréhensible.
- Que voulez-vous que je vous dise. Vous suiviez probablement un traitement avant de venir ici. L'animal l'a senti dans vos urines, c'est ce qui vous a sauvé. »
Finalement, j'aurais préféré que la raison de ma survie demeure un mystère.
« Si je comprends bien, c'est la présence d'antibiotiques dans mon urine qui a fait fuir ce monstre. C'est difficile à croire, même si je dois bien reconnaître que je n'ai pas d'explication plus rationnelle. Mais d'ailleurs, comment pouvez-vous en connaître autant sur des créatures qui n'existaient pas il y a encore quelques heures ? D'où vous viennent tous ces détails que vous m'avez exposés sur les mœurs des octopodes, et maintenant sur les aversions de ce monstre reptilien ? »
Ma question sembla le surprendre. Il prit le temps de la réflexion, comme s'il venait lui-même de prendre conscience de cet état de fait.
« Je ne sais que vous répondre. J'ai tout su de ces créatures dès l'instant où elles sont apparues en ce monde. C'est aussi simple et aussi mystérieux que cela. »
Sa réponse soulevait finalement plus de questions qu'elle n'en résolvait. Malgré toutes les interrogations qui me brûlaient les lèvres, je préférai en rester là pour l'instant.
C'est alors qu'un troisième acolyte nous rejoignit. Le danger était écarté, et la mésange se montrait à nouveau sous un jour guilleret. La vue de ce petit animal visiblement en quête de mon amitié me remonta le moral. Mais elle m'apporta également une nouvelle question que je ne pus retenir :
« N'y a-t-il pas un déséquilibre entre les créations du glairon et les réponses de ce monde ? Qu'il nous expédie un octopode volant de plusieurs mètres de diamètre suite à l'intrusion d'un pin gigantesque, c'est parfaitement compréhensible. Mais contrer l'arrivée d'un petit oiseau par l'envoi d'un tel monstre, c'est assez démesuré. »
Je parlais tout en regardant l'animal, sans égard pour mon interlocuteur.
« Je ne pense pas que la gravité d'une intrusion se juge à la taille de l'élément introduit. Tout est subjectif. Pour vous, cet oiseau a probablement autant de valeur qu'une montagne, et ce monde le sait. »
La mésange se mit à chanter gaiement. Il avait raison : sa présence était d'une valeur inestimable.
« Bon, dit soudain l'homme en blanc en se levant. Il vous faut un pantalon. »
Sans prévenir, il rabattit sa capuche en arrière, dévoilant l'intégralité de sa tête. Je fus alors saisi du même frisson que la première fois que j'avais découvert son visage vide. Tout son crâne était en effet similaire à ce que j'avais pu en voir jusqu'à présent : ni cheveux, ni oreilles, rien qu'une peau blanche et lisse comme la surface d'un œuf dur. Je me demandai d'ailleurs comment nous étions capables de communiquer, mais c'est un sujet que je redoutais d'aborder avec lui. Avec une dextérité impressionnante, il défit en quelques secondes l'entrelacement de tissu qui le drapait et le laissa tomber au sol. Il portait un pantalon et un maillot amples, tous deux taillés dans le même textile blanc que le reste de sa tenue. Dénotant outrageusement avec la monochromie générale, la ceinture de cuir noir qui lui courait autour de la taille attira immédiatement mon attention. L'homme s'abaissa pour ramasser sa toge, la secoua vivement pour la débarrasser des aiguilles de pin qui s'y accrochaient, puis la balança par dessus son épaule.
« Je vais m'installer dans l'herbe », précisa-t-il simplement.
Un tapis d'aiguilles de pin n'était effectivement pas le lieu idéal pour un atelier de couture. Tandis qu'il passait devant moi, je remarquai un fourreau plaqué contre sa hanche droite. Fait du même cuir que la ceinture à laquelle il était attaché, il avait une forme cylindrique et était complètement fermé, de sorte qu'il m'était impossible d'en distinguer le contenu.
Ma curiosité fut trop grande :
« Qu'est-ce que vous portez à la ceinture? »
L'homme en blanc étendit méthodiquement le tissu sur l'herbe, puis s'installa en tailleur juste à côté. C'est seulement après avoir achevé ces préparatifs qu'il daigna me répondre :
« C'est une arbalète. »
La surprise provoquée par cette révélation céda rapidement la place à une éruption de colère qui me brûla le crâne à en faire battre mes tempes. Ainsi, pendant tout ce temps, il était armé.
Mots proposés pour cet épisode:
- antibiotique,
- amphigourique,
- arbalète.
VOUS LISEZ
Les Imprévisibles aventures d'Emixam Siobud
Mystère / ThrillerLes plus belles aventures ne sont pas celles qu'on planifie, qu'on organise ou même qu'on aspire à vivre. Ce sont celles qui s'offrent à nous sans qu'on y soit préparé. Dans ces aventures inattendues, ce n'est pas l'homme qui fait le héros, mais le...