L'écho lointain de la voix de l'homme en blanc, déformée par la douleur, me ramena à la réalité. Je sentis monter en moi une vague de frustration intense : j'avais touché du doigt l'extase d'une mémoire emplie de souvenirs riches en émotions, la splendeur d'une vie qui, sans tomber dans une nostalgie stérile, s'alimente des trésors du passé pour donner un sens à son avenir ; et voici qu'après avoir retrouvé une partie de moi sous la forme de quelques images d'émeraudes échappées de la toile pour venir tapisser ma mémoire – et retrouver au passage toutes leurs couleurs –, j'étais de nouveau perdu dans cette plaine vide. Une plaine qui, en cet instant, me parut surtout vide de sens.
Par réflexe, je me retournai vers les deux hommes. Je le regrettai instantanément. Le spectacle qui s'offrit à mes yeux était le plus épouvantable qu'il m'ait été donné de voir. J'avais trouvé les dimensions du sexe en érection de l'homme aux tatouages absolument hors du commun lors de sa précédente visite, mais je découvris en cet instant qu'il était alors loin d'avoir atteint sa taille maximale. Ce que j'avais devant les yeux était tout simplement contre nature. Mais ce n'était pas le plus horrible. Non, ce qui me retourna le cœur en cet instant, c'est le corps de l'homme en blanc, les jambes pendant à quelques centimètres du sol, littéralement empalé sur ce sexe gigantesque. Il ne bougeait plus, n'émettait plus le moindre son. Il était mort, cela ne faisait aucun doute. Mais alors que je pensais que l'horreur était à son comble, je me rendis compte que le pénis tatoué continuait de grossir progressivement. Le corps de l'homme en blanc s'étirait, et je pouvais apercevoir le bout du gland déformer sa tête d'œuf par l'intérieur. J'étais totalement épouvanté, pourtant je n'eus pas le réflexe de détourner le regard de cet affreux spectacle. L'homme aux tatouages poussa un soupir rauque qui ressemblait beaucoup à un râle de jouissance, ce dont j'eus la confirmation lorsque son sexe se contracta brusquement sous l'afflux de sa semence. Alors, le corps de l'homme en blanc explosa en projetant dans le ciel des particules blanches qui retombèrent doucement sur la plaine comme de petits flocons de neige. Dans ma main, je sentis le manche du glairon devenir soudain friable. Je le regardai : il était en train de se désagréger. Il disparut pour ne laisser lui aussi qu'un tas de poudre blanche. De près, les particules qui restaient collées à la paume de ma main m'évoquèrent plus de la cendre que de la neige. Déconfit, je regardai le petit monticule qui s'était formé à mes pieds : avec l'instrument, c'étaient tous mes espoirs de retrouver la mémoire qui étaient réduits en poussière.
Je relevai la tête : à quelques mètres, les blattes n'étaient plus elles aussi que de petits tas de cendre blanche disséminés sur l'herbe verte.
« Qu'avez-vous fait ? » demandai-je en reportant mon regard sur l'homme aux tatouages.
Ma voix était déformée par la boule de détresse qui me nouait la gorge. Son sexe recouvert de tatouages s'était ramolli, mais il restait rouge et gonflé d'avoir bien servi. L'homme se contenta de me sourire ; non pas d'un air mesquin, mais d'une expression sincère et aimable.
« Allez, me dit-il en me tendant à nouveau la main. Il faut y aller. Cette plaisanterie n'a que trop duré. »
Tandis que je sondai son regard, j'eus l'impression que son visage et son corps gagnaient en contraste et en couleurs. Mais en y regardant à deux fois, je compris que c'étaient le ciel et la plaine qui étaient en train de perdre les leurs. Le bleu et le vert devinrent d'abord pastel, puis franchement délavés, avant de virer totalement au blanc. L'homme aux tatouages ne m'en parut alors que plus impressionnant. Il n'y avait plus que lui et moi, désormais, et plus aucun artifice auquel me raccrocher. Il avait gagné. J'avais l'impression que le vide qui m'entourait était liquide, que j'y flottais comme une créature amphibie parfaitement dans son élément.
« Nous sommes le lundi 14 avril 2014, lança le tatoué sans transition. C'est le 104ème jour de l'année. Le soleil se lève à 7h00 et se couche à 20h41. Aujourd'hui, nous fêtons les Maxime, et tous ses dérivés, mais également les Bérénice, Donan, Ludivine, Tiburce, Valérien et Lambert. Le dicton du jour : « Lorsque arrive la Saint-Valérien, l'arbre bourgeonne et les fruits ne sont plus loin. » ; bien que cette année, le printemps ait pris un peu d'avance. Joyeux anniversaire à Ritchie Blackmore, 69 ans, Adrien Brody, 41 ans, et Sarah Michelle Gellar, 37 ans. »
Avant que j'aie eu le temps de lui demander pourquoi il me récitait l'éphéméride du jour, il poursuivit :
« Lucas Delannoy a commenté une photo dans laquelle vous apparaissez, Laurence Dierckens, Dubois Rémy et 4 autres personnes ont commenté le statut de Les imprévisibles aventures d'Emixam Siobud. John B. Gornow aime La Moule. Yannick Dierckens mixed a combination on Candy Crush Saga. »
Tout en parlant, il s'avançait vers moi. Je ne comprenais pas où il voulait en venir ; pourtant, je ressentais comme une attirance. Peut-être que ce qu'il avait à me proposer valait la peine, finalement. Après tout, il semblait évident qu'il ne me voulait aucun mal. Non, il ne fallait pas que je succombe. Son sourire était trop beau pour être vrai. Il était en train de tenter de m'amadouer, il fallait résister ou je finirais moi aussi en poussière, après avoir été empalé au bout de son sexe monstrueux. Je reculais doucement tandis qu'il s'approchait, la main tendue comme un dresseur qui essaie de rassurer un animal sur la défensive. Pour ma part, je me sentais comme un délinquant face à un policier qui lui tend les menottes en lui assurant que tout ça, c'est pour son bien.
« Bon, faudrait voir à passer la seconde, là ! » dit-il en s'impatientant.
Mais j'avais manifestement un problème d'embrayage. J'étais tiraillé entre la certitude de devoir prendre sa main, et la crainte de ce que cela pourrait entraîner. Dans un sursaut soudain et totalement incontrôlé, mon bras se tendit et ma main alla à la rencontre de la sienne. Tout se passa alors comme lors de notre premier contact, mais avec une intensité décuplée. Bien qu'il ne fut plus qu'un vide infini, je sentis le monde autour de moi tournoyer. Puis, de blanc, tout devint brutalement noir. Comme dans ces rêves pendant lesquels, plongé dans l'obscurité la plus totale, on a l'impression de tomber dans le vide, je fus aspiré dans les abysses.
Mots proposés pour cet épisode:
- menotte,
- éphéméride,
- neige,
- Lucas Delannoy,
- amphibie,
- embrayage,
- La Moule.
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Les Imprévisibles aventures d'Emixam Siobud
Misterio / SuspensoLes plus belles aventures ne sont pas celles qu'on planifie, qu'on organise ou même qu'on aspire à vivre. Ce sont celles qui s'offrent à nous sans qu'on y soit préparé. Dans ces aventures inattendues, ce n'est pas l'homme qui fait le héros, mais le...