4 - Un message de la plus haute importance

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Le martouflet mis hors d'état de nuire, les secours pouvaient enfin s'occuper de Crâne de Piaf, dont la jambe sanguinolente pendait piteusement.

Ils en étaient là à essayer de raccorder l'ensemble, lorsque le gnome, entre deux "ouille !" plaintifs, parvint à tirer de sa poche, miraculeusement restée intacte, un petit parchemin fermé par un ruban noir.

"J'ai un message de la plus haute importance ! piailla-t-il.

Je dois le remettre à Aurane au plus vite !"

Du coup, personne ne prêta plus attention à son calvaire, ni la foule ni les secours. Et même les fans désespérés, qui escomptaient encore obtenir un petit souvenir de Massepain, s'en détournèrent pour voir ce qu'avait apporté le gnome, désormais boiteux.

Les discussions allaient bon train sur le contenu du message, et encore plus sur l'absence inexpliquée d'Aurane, curieusement disparue depuis son discours de la veille. Enfin, c'est ce que tout le monde croyait et que démentit sa voix s'élevant brusquement d'un petit recoin masqué par l'ombre du bureau de Benjamin. Depuis combien de temps était-elle restée cachée dans cet endroit à les observer ? Nul ne le savait. Mais elle était bien là, droite et toujours aussi fabuleusement froide, transparente et quand même, fallait-il l'avouer, terriblement effrayante.

Lentement, sans le moindre bruissement de robe, elle s'avança vers eux. D'un regard sans âme, elle dévisagea Crâne de Piaf dont elle examina de loin la jambe affreusement grignotée. Visiblement dégoûtée par l'ampleur inquiétante de la blessure, elle semblait hésiter sur l'attitude à adopter. Finalement, aussi dédaigneusement qu'il était possible de le faire, elle claqua sa langue dans sa bouche invisible et, de bouillonnements glauques en glouglous épouvantables, le membre dévoré se reconstitua instantanément, comme s'il n'avait jamais souffert.

Loin d'être offusqué par l'attitude hautaine de l'esprit de la nuit, le gnome, au contraire, débordant de reconnaissance, sauta de joie, ne manquant pas au passage de toiser avec défi l'horrible martouflet, qu'on avait bon gré mal gré enfermé dans une cage de fortune. L'animal grogna sourdement et Crâne de Piaf recula prudemment.

Indifférente au spectacle divertissant que le gnome offrait, Aurane ne lui prêtait aucune attention, fixant de ses yeux vides le parchemin qu'il tenait toujours entre ses doigts. Et quand après bien des cabrioles joyeuses, Crâne de Piaf prit enfin conscience de l'intérêt qu'elle portait au rouleau de papier, il le lui tendit avec enthousiasme. Incapable de maîtriser son impatience, l'esprit de la nuit le lui arracha des mains, le saisissant avec une sorte de gourmandise féroce qui n'échappa à personne. Puis, ses mains tremblantes d'une excitation à peine contenue, elle en ôta le ruban d'un geste précipité que seule la fragilité du document l'obligea à réfréner. Le décachetant ensuite, elle le déroula avec d'infinies précautions. 

À cet instant, le papier jauni sembla crépiter sous ses doigts et Benjamin s'agita. S'asseyant brusquement dans son lit, il hurla, les yeux exorbités par la peur :

— Non ! Pas ça !

D'instinct, tous les Semeurs de Peur bondirent pour disparaître tandis que, toujours aux aguets, Acary tentait de les en empêcher par de grands signes qui signifiaient que tout allait bien. L'enfant ne faisait que parler dans son sommeil.

Rassurés, mais le cœur haletant, tous reprirent donc leur place autour d'Aurane qui, restée imperturbable, parcourait avec intérêt les quelques lignes du message.

Son silence parut durer une éternité.

Une éternité durant laquelle chacun d'eux attendit de savoir, suspendu au moindre tressaillement de son corps, à la moindre expression de son visage, toujours si impassible.

Naboja, la frontière interditeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant